Une loi sur l'énergie nucléaire pour la Suisse de demain
Le Conseil fédéral a adopté le 6 mars 2000 plusieurs objets de politique nucléaire qui revêtent une importance extrême, à savoir:
- le projet de loi sur l'énergie nucléaire (LENu) mis en consultation,
- la demande au Parlement de prolonger jusqu'à la fin de 2010, sans modification de son contenu, l'arrêté fédéral concernant la loi sur l'énergie atomique,
- l'ordonnance sur le fonds pour la gestion des déchets radioactifs provenant de centrales nucléaires,
- la fixation de la prime d'assurance de Zwilag (dépôt intermédiaire central de Würenlingen) pour la couverture fédérale par modification de l'ordonnance sur la responsabilité civile en matière nucléaire (ORCN),
- l'autorisation d'exploitation pour les installations de traitement des déchets (installations de conditionnement des déchets de faible activité, d'incinération et de fusion) de Zwilag.
On résumera très brièvement certains points essentiels de la proposition qui revêt la plus grande importance pour l'avenir de l'énergie nucléaire suisse, à savoir le projet de loi du Conseil fédéral sur l'énergie nucléaire. Cette loi doit remplacer la loi du 23 décembre 1959 sur l'énergie atomique et l'arrêté fédéral du 6 octobre 1978 concernant la loi sur l'énergie atomique. Une nouveauté du projet de loi: l'autorisation générale pour la construction de nouvelles centrales nucléaires serait soumise au référendum facultatif. En ce qui concerne une limitation éventuelle de la durée d'exploitation des centrales nucléaires existantes, le Conseil fédéral propose parallèlement la variante "fonctionnement de durée limitée" (le délai concret resterait toutefois à fixer sur la base de la consultation) et la variante "fonctionnement sans limite de durée". Les milieux consultés devront se prononcer sur cette question. Le retraitement en France (La Hague) et en Angleterre (Sellafield) des assemblages combustibles usés issus des centrales nucléaires suisses serait interdit, de même que les exportations liées à ce retraitement, ceci dès que les contrats en vigueur auront été honorés dans des limites définies par la loi. Le projet de loi propose également d'interdire dans l'espace aérien suisse le transport de matières nucléaires contenant du plutonium, c'est-à-dire d'assemblages combustibles à oxydes mixtes d'uranium et de plutonium (Mox).
Suite à la conférence de presse organisée le 6 mars en présence du chef du Detec, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger, l'ASPEA a pris position comme suit sur ce projet de loi dans un communiqué:
"L'évacuation des déchets au premier plan -L'ASPEA opposée à une interdiction légale du retraitement - (ASPEA, le 6 mars 2000) L'objectif principal que doit régler la nouvelle loi sur l'énergie nucléaire est la réalisation praticable non seulement sous l'angle technique, mais aussi politique, de l'évacuation des déchets radioactifs. C'est sur cette question que se concentrera en premier lieu l'analyse du projet de loi sur l'énergie nucléaire du Conseil fédéral, projet mis en consultation ce lundi 6 mars 2000. Comme le souligne encore l'Association suisse pour l'énergie atomique (ASPEA), la proposition du Conseil fédéral d'interdire par la loi le retraitement des assemblages combustibles usés, c'est-à-dire la récupération des matières premières énergétiques précieuses que sont l'uranium et le plutonium, doit être catégoriquement rejetée.
Les dispositions légales sur les principes du stockage géologique contrôlé en profondeur et du stockage définitif revêtent une importance déterminante pour la réalisation pratique de l'évacuation des déchets radioactifs. Une analyse minutieuse du projet du Conseil fédéral permettra de voir s'il y a lieu de présenter des demandes de modifications lors de la consultation. Le projet de loi ne saurait en aucun cas fournir une occasion politique de repousser encore les travaux relatifs à un dépôt définitif pour déchets de faible et de moyenne activité.
L'ASPEA s'engage pour que les centrales nucléaires existantes puissent continuer d'être exploitées aussi longtemps que leur sûreté sera assurée et pour que l'utilisation de l'énergie nucléaire reste en principe possible dans l'avenir, sans limitations superflues. Une interdiction du retraitement restreindrait inutilement la liberté de manoeuvre de la Suisse en matière de gestion des déchets radioactifs. Un renoncement au retraitement n'apporterait par ailleurs aucun gain de sûreté à moyen et à long termes. Les deux options en présence - à savoir l'évacuation des déchets avec ou sans retraitement - devraient être maintenues dans une loi sur l'énergie nucléaire porteuse d'avenir.
Selon l'ASPEA, une limitation de la durée de vie des centrales nucléaires qui serait ancrée dans la loi constituerait, par rapport à la loi atomique actuelle, une restriction motivée exclusivement par des considérations politiques. Surtout maintenant que sont en cours aux Etats-Unis des procédures d'autorisation de prolongation de l'exploitation des centrales, une limitation qui serait introduite par la loi serait un anachronisme purement politique. L'ASPEA s'engagera pendant la consultation pour que seule la sûreté des réacteurs détermine dans la nouvelle loi pendant combien de temps les centrales nucléaires peuvent être exploitées."
Les interventions à la télévision suisse alémanique, après la publication du projet de loi, du conseiller fédéral Moritz Leuenberger, ont tout d'abord déclenché une certaine perplexité parmi les spécialistes du nucléaire du fait de trois bévues techniques grossières:
- Dans le journal télévisé de la soirée du 6 mars, le ministre de l'énergie a assuré que l'interdiction du retraitement rendrait aussi caducs les transports d'assemblages combustibles usés à l'étranger. De toute évidence, le ministre de l'énergie - et il n'est pas le seul - n'a pas encore pris conscience du fait qu'en cas de renoncement au retraitement, les assemblages combustibles usés de haute activité devraient être "conditionnés", c'est-à-dire transférés sous une forme se prêtant au stockage final; il faudrait avoir recours ici à un procédé industriel complexe qui, contrairement au retraitement, n'existe encore concrètement nulle part dans le monde à l'échelle industrielle. Dans le cas du stockage final "direct", les transports se feront simplement entre la centrale nucléaire, ou le dépôt intermédiaire Zwilag, et une installation de conditionnement très probablement étrangère, puis ils retourneront depuis cette installation de conditionnement à Zwilag ou, à une date ultérieure, dans un dépôt définitif. Sous l'angle des transports, l'installation de conditionnement prend donc la place de l'usine de retraitement. La perspective que la Suisse, avec son petit nombre de centrales nucléaires, construise sa propre installation de conditionnement d'assemblages combustibles, est raisonnablement à exclure du fait des dépenses extrêmement élevées qu'implique une telle installation. Les transports à l'étranger ne seront donc pas supprimés en cas d'interdiction du retraitement mais simplement repoussés à plus tard ... une politique dont le caractère "durable" est contestable!
- Dans ce même journal télévisé du 6 mars, Moritz Leuenberger a justifié le bien-fondé de la proposition d'interdiction du retraitement par l'affirmation erronée des antinucléaires selon laquelle le retraitement du combustible suisse polluerait l'air et l'eau près des usines étrangères, leur argumentation étant que la protection de l'environnement ne saurait s'arrêter aux frontières de la Suisse. Certes, cette affirmation qui, dans le cas de Sellafield, impute au retraitement commercial actuel des charges historico-militaires, revient toujours sur le tapis dans la controverse sur le nucléaire. Ce n'est pas ce qui la rend plus exacte. Comme source la plus actuelle sur la question des effets (non détectables) du retraitement commercial sur la santé de la population, on recommandera au lecteur intéressé le rapport de la commission d'experts d'Annie Sugier. Le "Groupe Radioécologie Nord-Cotentin" a été institué par la ministre de l'environnement Dominique Voynet (parti des Verts) et par le Secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale Bernard Kouchner. Le Suisse Christophe Murith, de la section Surveillance de la radioactivité de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP), a participé aux travaux de ce groupe comme expert étranger. Dans son rapport publié en 1999 après deux ans de travaux, le groupe est parvenu à la conclusion que la dose d'irradiation de la population à proximité de l'usine de retraitement de La Hague provenait à 99% de sources naturelles et médicales. Selon les calculs de ces experts, la probabilité qu'un cas de leucémie parmi le groupe des 6656 jeunes jusqu'à 24 ans qui a été examiné de 1978 à 1996 dans le canton de Beaumont-Hague soit induit par des rayonnements provenant d'installations nucléaires industrielles est de 1 à 2 pour mille.
Une analyse sérieuse, qui tiendrait même compte de certains points de vue des Verts, ne saurait donc objectivement justifier un renoncement éventuel au retraitement par une référence à des dommages sur la santé qui n'existent pas.
- C'est avec une clarté extrême que lors d'une interview très instructive de l'émission "Rundschau" du 15 mars de la chaîne de télévision DRS, le conseiller fédéral Leuenberger a corrigé lui-même le troisième lapsus qu'il avait commis en disant qu'en cas d'interdiction légale du retraitement, les assemblages combustibles usés seraient transférés un jour dans un dépôt final au Wellenberg. Lors de cette même interview, le ministre de l'énergie a souligné une nouvelle fois que les quelque 40% d'électricité nucléaire suisse, électricité qu'on ne sait toujours pas encore comment remplacer, étaient produits sans émissions de CO2, gaz à effet de serre. Le conseiller fédéral a beaucoup insisté sur le fait qu'avec les efforts qu'elle conduit pour pousser le développement des nouvelles énergies renouvelables, la Suisse prenait une position de pointe sur le plan mondial, mais que le soleil, le vent et d'autres nouvelles énergies renouvelables ne pouvaient fournir qu'une contribution de quelques pour-cent à la couverture des besoins en électricité.
En indiquant clairement que s'il défend personnellement une politique de retrait de l'énergie nucléaire, il accepte la réalité des arguments du point de vue adverse qui entend maintenir l'option de l'énergie nucléaire comme contribution respectueuse de l'environnement et performante à un approvisionnement en électricité pour l'avenir, le ministre de l'énergie a donné un signal précieux: selon sa volonté - et l'ASPEA le soutiendra ici dans la mesure de ses possibilités - la consultation qui vient de s'ouvrir sur le projet du Conseil fédéral, et les travaux ultérieurs du législatif, ne devront pas consister en une nouvelle polarisation dialectique destinée à compenser d'anciennes vanités idéologiques, mais traduire la volonté de trouver un accord sur une législation nucléaire intelligente pour la Suisse de demain.
Source
Peter Hählen