«Too serious to play politics»
En matière de nouveaux projets nucléaires, la Grande-Bretagne connaît une situation pour ainsi dire aussi faste que lorsqu'elle avait introduit le nucléaire commercial voici un demi-siècle environ. L'accident de Fukushima-Daiichi a conduit à un contrôle de la sûreté des réacteurs. Et les projets ont désormais le vent en poupe: des chantiers seront lancés prochainement sur huit sites, car le pays entend réduire de manière draconienne ses émissions de CO2 et éviter la menace d'une pénurie de courant. La coalition au pouvoir et l'opposition sont d'accord sur ce point et ont récemment donné leur feu vert. Les premiers investisseurs sont annoncés.
De la première centrale atomique du monde à la renaissance du nucléaire
C'est en Grande-Bretagne qu'est entrée en service la première centrale nucléaire commerciale du monde. La Reine Elisabeth II a inauguré en 1956, près de Windscale (aujourd'hui Sellafield), les deux tranches de Calder Hall A et B, équipées chacune d'un réacteur Magnox refroidi au dioxyde de carbone et modéré au graphite.
Certes, l'histoire du nucléaire en Grande-Bretagne a essuyé quelques revers. Ainsi, un incendie de modérateur s'est déclenché en 1957 à Windscale, dans un réacteur produisant du plutonium, ce qui entraîna des rejets importants de substances radioactives. Plus tard, dans les années 1990, des provisions mises en réserve pour l'évacuation des déchets et la désaffectation des installations ont disparu et auraient été utilisées pour la construction de Sizewell B.
Aussi bien l'industrie que les autorités en ont tiré les enseignements, et le Royaume-Uni se retrouve aujourd'hui parmi les premiers de la liste, du moins en Europe, pour ce qui concerne la construction de nouvelles centrales nucléaires. Et même si d'autres pays ont progressé davantage encore en termes de renaissance nucléaire, la planification de la Grande-Bretagne fait ici excellente figure. A en croire certaines conversations avec des représentants de l'industrie nucléaire britannique et des milieux politiques, le «retard» qu'aurait pris le pays ne serait cependant pas un handicap, loin de là. Tout comme la Suisse le souhaitait au départ, la Grande-Bretagne mise en effet sur les réacteurs avancés de troisième génération, alors même que d'autres pays ont déjà acquis de l'expérience avec ces types de machines.
Pas de décisions précipitées en politique énergétique
Le fait que personne n'a pris de décisions précipitées en Grande-Bretagne et que le pays a maintenu sa politique énergétique après l'accident de réacteur à Fukushima-Daiichi constitue sans conteste le contraste le plus frappant par rapport à la Suisse. Bien sûr, les Britanniques ont eux aussi revu leurs concepts de sécurité après le 11 mars 2011. Les premiers résultats de ce contrôle ont été publiés fin mai 2011 dans un rapport intermédiaire de l'autorité de surveillance ONR (Office for Nuclear Regulation). Ce rapport contient 25 recommandations susceptibles d'améliorer la sûreté nucléaire. Il y est par ailleurs souligné qu'il n'existe aucune raison valable de modifier les critères quant au choix des sites en Grande-Bretagne ou de limiter le nombre des tranches à construire sur des sites déterminés. Certes, selon les sondages les plus récents, Fukushima a terni l'image du nucléaire dans l'opinion britannique également, mais c'est sans commune mesure avec la Suisse. Les mouvements de forte contestation anti-nucléaire sont plutôt rares en Grande-Bretagne, et certains écologistes anglais de renom se sont même mis à défendre la cause de l'énergie nucléaire.
La protection du climat est ainsi devenue l'un des arguments majeurs plaidant en faveur du renouvellement du parc nucléaire britannique. Les centrales alimentées au gaz et au charbon fournissent actuellement environ 75% de l'électricité produite en Grande-Bretagne. Un peu plus de 17% du courant sont d'origine nucléaire et le reste – 8% à peine – provient de sources renouvelables. Ce mix engendre d'importantes émissions de CO2. Les gisements britanniques de houille et de gaz sont par ailleurs sur le déclin, et les 18 tranches nucléaires encore en service arrivent bientôt au terme de leur durée d'exploitation. Il n'en demeure pas moins que dans son Livre blanc sur l'approvisionnement énergétique, le gouvernement avait annoncé en 2003 que les centrales nucléaires mises hors service ne seraient pas remplacées, le nucléaire se révélant peu rentable en l'état actuel des choses (Bulletin 6/2003). Mais cette opinion allait évoluer au cours des années suivantes, d'où la demande faite en 2005 par l'ancien Premier ministre Tony Blair de publier un nouveau Livre blanc (Bulletin 19/2005). Il déclara à peine une année plus tard, dans un discours prononcé devant d'éminents représentants de l'économie, que la construction de nouvelles centrales nucléaires modernes se retrouvait à l'ordre du jour. Son successeur Gordon Brown allait non seulement maintenir ces projets mais encore les accélérer. Les choses se sont concrétisées dès le mois de juillet 2008, lorsque Brown fit la demande de construire huit nouvelles centrales nucléaires en invoquant une «renaissance du nucléaire».
Incitations à l'adresse des investisseurs privés
Depuis, cette renaissance s'est faite toujours plus concrète. Le document «Overarching National Policy Statement for Energy» (NPS) du DECC (Department of Energy and Climate Change) est paru en juin 2011, au terme d'une vaste consultation comprenant l'examen de plus de 2500 prises de position. Huit sites d'implantation pour de nouvelles centrales nucléaires ont ainsi été proposés au Parlement. En Grande-Bretagne, des directives de planification de ce type sont édictées pour tous les projets d'infrastructure d'importance nationale tels que centrales nucléaires et autres installations de production d'énergie, autoroutes, tracés de voies ferrées interrégionales, etc. Dès lors qu'une directive NPS a reçu l'approbation du Parlement, l'audition étendue et approfondie qui l'a précédée permet de se passer d'autres consultations populaires. Tel a été le cas pour la présente directive le 18 juillet 2011, lorsqu'elle a reçu l'aval du Parlement en même temps que cinq autres NPS. Le marché britannique de l'électricité pourra désormais être réformé en profondeur. Cette réforme prévoit, dans le secteur nucléaire, des incitations à l'adresse des investisseurs privés. Les nouvelles centrales devront être construites sans l'aide des deniers publics par le biais des impôts. En ce qui concerne les prix de l'électricité, le DECC a proposé un mécanisme de compensation afin de garantir une certaine sécurité aux investisseurs potentiels. Si le prix du marché tombe en dessous du seuil de la fourchette indicative, la différence est versée aux producteurs d'électricité. Inversement, ceux-ci doivent céder leurs gains au gouvernement dès lors que le prix crève le plafond de la fourchette.
Ces incitations ont déjà attiré de premiers fournisseurs, c'est-à-dire trois consortiums. Les négociations ont le plus progressé avec EDF Energy UK, une coentreprise du Français EDF et de l'entreprise britannique Centrica. Le groupe entend construire deux EPR à Hinkley Point et deux autres à Sizewell d'ici à 2025. Les premiers travaux de chantier ont été autorisés le 28 juillet 2011 pour la tranche Hinkley Point C. Suit en deuxième position Horizon Nuclear Power Ltd., une coentreprise de l'Allemand RWE et d'E.On. Ce groupe doit reconsidérer la situation après la décision précipitée de l'Allemagne de sortir du nucléaire et adapter son projet d'installer au total 6000 MW de puissance d'ici à 2025. Les projets du troisième consortium sont les moins concrets: il s'agit du groupe NuGeneration Ltd. composé d'Iberdrola, de GDF Suez et de la Scottish and Southern Energy (SSE).
Un lobby nucléaire bien dans sa peau
Lors du voyage de presse du Forum nucléaire suisse, les rencontres avec des représentants des autorités, des milieux politiques et, en particulier, des associations industrielles ont fait apparaître une autre différence de taille entre le Royaume-Uni et la Suisse. C'est en effet avec une fierté à peine dissimulée que les représentants du secteur nucléaire se qualifient eux-mêmes de lobbyistes, sans doute parce que la notion de «lobby» est depuis toujours bien moins péjorative dans le monde anglo-saxon que dans la tradition germanophone. On retrouve la même assurance tranquille dans les rapports de ces lobbyistes anglais avec les médias. Après avoir présenté un exposé à la conférence industrielle nuclea'10, John McNamara, responsable de la communication à la Nuclear Industry Association (NIA), s'est fait traiter de «Docteur Folimage» [Spin Doctor] par un journaliste suisse - autre appellation dépréciative usuelle en allemand. Mais lors de l'allocution qu'il a prononcée à table dans le cadre du voyage de presse du forum à Londres, en juillet 2011, McNamara n'a pas manqué de remercier ce journaliste, lui aussi présent, pour ce beau compliment.
Le quotidien britannique «The Guardian» pensait avoir découvert un scandale lorsqu'on lui transféra des courriels indiquant que des représentants du gouvernement souhaitaient se concerter avec les industries de la branche nucléaire «pour synchroniser la communication sur Fukushima». Interrogé à ce sujet à l'occasion du voyage de presse, Peter Haslam, de la NIA, confirma que son association avait effectivement reçu les mails en question mais qu'elle n'y avait pas répondu. Et d'ajouter: «Ce serait bâcler notre travail si nous ne nous concertions pas dans un cas aussi grave.»
Le même pragmatisme semble régner dans les milieux politiques. Alors même qu'un participant au voyage demandait à un représentant des socio-démocrates pourquoi son parti, désormais relégué dans l'opposition, ne s'opposait pas à la politique énergétique de la coalition gouvernementale, il lui fut répondu d'un ton sec: «Because this matter is too serious to play politics with it.» (Parce que l'affaire est trop sérieuse pour se prêter à des jeux politiques).
Source
M.Re./P.V. à partir de conversations menées pendant le voyage de presse, à Londres, du Forum nucléaire suisse, juillet 2011
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