Première en République sud-africaine: le retour du réacteur à boulets
La République sud-africaine va donner une forte poussée à l’avènement d’ouvrages nucléaires de quatrième génération. Elle s’apprête à construire un réacteur pilote à haute température, basé sur une technologie développée puis abandonnée dans les années 80 aux Etats-Unis et en Europe.
«Une technologie robuste, simple, sûre, parfaitement adaptée à l'Afrique et aux pays en développement»: c'est ainsi que le ministre sud-africain des Entreprises publiques, Alec Erwin, décrit le PBMR (Pebble Bed Modular Reactor), dit «à lit de boulets». Cette installation est la continuation d'un long développement entamé dès les années 50, lorsque le physicien allemand Rudolf Schulten préconisa la création d'une source d'énergie nucléaire «intrinsèquement sûre» capable de fournir tout à la fois de l'électricité abondante et bon marché et des hautes températures pour procédés industriels.
Une des clés de cette technologie réside dans l'encapsulation de petites quantités (des grains) de combustible dans des céramiques capables de supporter de hautes températures, de sorte que les produits de fission restent confinés à l'emplacement même de leur création. Ce concept a été testé et validé pendant plus de vingt années avec un réacteur expérimental de 30 mégawatts exploité au centre de recherche nucléaire allemand de Jülich.
La Suisse aussi
Les réacteurs à haute température (HTR) avaient suscité de grands espoirs au siècle passé déjà. Des prototypes ont fonctionné dans les années 70 et 80 aux Etats-Unis (Peach Bottom et Fort St. Vrain), en Allemagne (Jülich) et en Grande-Bretagne (réacteur Dragon), avec d'excellents résultats, même si des avaries mécaniques et, surtout, des pressions politiques, ont entraîné l'arrêt des premiers prototypes de grandes tailles aux Etats-Unis et en Allemagne. Un abandon qui s'explique aussi par l'expansion rapide des réacteurs à eau légère.
Entre-temps, l'évolution des techniques, notamment dans la métallurgie, dans les paliers secs à gaz et les matériaux réfractaires, a remis en selle la réaction à haute température. La société General Atomics, alliée à un consortium japonais, français et russe, travaille sur un HTR «tout hélium» de 300 mégawatts. Ce réacteur aux éléments combustibles compacts prismatiques fonctionne selon le cycle de Brayton. L'hélium chaud se détend dans une turbine à gaz couplée à un compresseur, qui le renvoie dans le cœur.
A l'échelle internationale, c'est le modèle allemand qui a suscité le plus grand intérêt. Ainsi, des travaux de recherche sur des réacteurs de type PBMR ont été conduits entre 1990 et 1995 à l'Institut de recherche suisse Paul Scherrer (PSI). On y a notamment mesuré les caractéristiques neutroniques des boulets de combustible. Ces derniers furent finalement envoyés en Chine, qui poursuit elle aussi activement le développement de cette technologie. Le PSI participe aujourd'hui à un projet de recherche sur les matériaux destinés aux réacteurs à haute température.
Reconversion africaine
Mais c'est bien en Afrique que se construira le premier projet pilote de puissance, grâce à la décision de la compagnie électrique nationale Eskom, en 1980, d'étudier le potentiel de la technologie allemande. Le tournant se produisit en 1994, lorsque le pays abandonna son programme nucléaire militaire et redéploya les personnels et les ressources vers le projet PBMR.
Ce projet suscita une remarquable coopération internationale, avec le japonais Mitsubishi Heavy Industries, qui fournira les systèmes de turbines à hélium pour la production d'électricité par cycle direct, ainsi que British Nuclear Fuels/Westinghouse et des entreprises canadiennes et allemandes. L'objectif est de développer des modules de petites puissances, de l'ordre de 165 mégawatts électriques, conformes aux besoins des pays en développement.
Ce faisant, l'Afrique du Sud a décidé de devenir un centre mondial d'excellence nucléaire, comme l'a souligné Alec Erwin. Son pays mettra l'exportation de modules nucléaires standardisés au cœur d'une stratégie visant à devenir un fournisseur majeur de biens d'équipements. Au moins douze pays ont d'ores et déjà manifesté leur intérêt pour l'acquisition de cette technologie.
Applications multi-énergies
Le réacteur pilote devrait être achevé en 2011. Les premières unités commerciales pourraient suivre à partir de 2014, avec un rythme de production annuelle de six unités. Plusieurs installations d'essai ont été mises en place: pour la fabrication du combustible, pour la production d'hélium et pour l'échangeur de chaleur. Après le lancement du programme, ces équipements offriront leurs services aux opérateurs de tout pays désireux d'utiliser des PBMR.
Lors d'une conférence internationale à Londres, en janvier 2006, le directeur des programmes américains de la société PBMR, Wilhelm Kriel, a livré une vision enthousiaste de ce réacteur comme source de chaleur à haute température. Parmi les applications industrielles possibles figurent la production à grande échelle d'hydrogène, de méthane synthétique et d'autres combustibles liquides et gazeux à partir du charbon, ainsi que de la chaleur pour les industries chimiques et la récupération de pétroles lourds. «Grâce au PBMR, dit-il, l'énergie nucléaire s'est finalement libérée des menottes qui la forçaient à ne produire que de l'électricité!»
La haute température est-elle contagieuse? Toujours est-il que l'on assiste à un regain d'intérêt pour elle aux Etats-Unis également. En février 2006, le groupe General Atomics et l'Université du Texas ont signé un accord pour la construction d'un réacteur expérimental de 10 à 25 mégawatts. Appelé HT3R (Heater), cet ouvrage devrait être opérationnel en 2012. Au lieu de boulets, le combustible sera enfermé dans des barres.
Le HT3R présente une grande importance nationale et internationale. Il permettra de former les futurs ingénieurs aux équipements nucléaires, de tester de nouveaux matériaux et technologies et de mener des études de faisabilité sur l'utilisation des hautes températures pour la production d'hydrogène ou de désalinisation de l'eau.
Les vertus du graphite
Les réacteurs à haute température offrent une véritable alternative technologique. A commencer par le combustible, qui se présente sous forme de microbilles enrobées de carbone de silicium. Ces matériaux peuvent atteindre des températures de 2000 à 2500°C, tout en retenant dans leur masse les produits de fission. Le graphite amorphe sert de modérateur. On parle ici de «compacts», qui peuvent être des empilements de briques hexagonales percées de trous pour faire circuler l'hélium réfrigérant sous moyenne pression, ou des sphères de 60 millimètres de diamètre autour desquelles circule l'hélium.
La puissance spécifique relativement modeste et la tenue du combustible à la bonne température ne nécessitent pas de refroidissement supplémentaire à l'arrêt et confèrent à ce type de réacteur une inertie et une sûreté intrinsèque élevées. L'hélium chaud permet d'alimenter des turbines selon le cycle thermodynamique dit de Brayton, avec un rendement de l'ordre de 45% à 50%, nettement supérieur à celui des réacteurs à eau.
Source
J.B.