Pologne: retour à l'énergie nucléaire
Les projets de la Pologne en matière de nucléaire, en stand-by depuis l'accident de Tchernobyl, ont été remis à l'ordre du jour en 2005 par le gouvernement polonais. Le pays souhaite ainsi réduire sa dépendance au charbon ainsi que ses émissions de CO2, et projette de construire deux centrales nucléaires équipées chacune de deux ou trois réacteurs. Le projet est déjà sur les rails: les sites d'implantation doivent être choisis d'ici fin 2011 et les premiers appels d'offres sont lancés. La Pologne s'attaque également à la question de l'évacuation des déchets.
L'histoire de l'énergie nucléaire en Pologne remonte à 1958, lorsque l'Institut polonais de l'énergie nucléaire (Instytut Energii Atomowej, IEA) situé à Swierk, à 30 km au sud de Varsovie, a mis en service le réacteur de recherche Eva. Il s'agissait d'un réacteur soviétique de type WWR-S d'une puissance thermique de 10 MW. Le second, Maria, mis en exploitation en 1974, est un réacteur piscine d'une puissance de 30 MW. Durant plus de 30 ans, les isotopes radioactifs produits à Swierk seront utilisés dans la thérapie et le diagnostic médicaux, l'industrie et la recherche. Le réacteur Eva fut arrêté en 1995. Maria fut quant à lui entièrement rénové en 1986, suite à l'accident de Tchernobyl, avant d'être remis en service en 1992. Les experts de la sécurité estiment la durée de vie de Maria à jusqu'en 2020.
Dans les années 1970, le gouvernement polonais lança la construction de la première centrale nucléaire destinée à la production d'électricité. Le site de Zarnowiec, en Poméranie, à 50 km au nord-ouest de Gdansk, avait alors été sélectionné pour accueillir les quatre réacteurs à eau sous pression de type WWER-440/213. La construction commença en 1982, avant d'être définitivement arrêtée 8 ans plus tard: suite à l'accident de Tchernobyl, le projet rencontra en effet une opposition massive de la population, et un référendum organisé en 1990 en Voïvodie de Poméranie montra que 80% de la population y était opposée.
C'est en 2005 que l'idée d'un retour au nucléaire vit le jour. Le gouvernement polonais de l'époque adopta à ce sujet le document «La politique énergétique de la Pologne jusqu'en 2025». Le pays mise alors sur l'énergie nucléaire d'une part pour diminuer sa dépendance aux importations d'énergie, d'autre part pour réduire ses émissions élevées de CO2. Actuellement, les Polonais produisent 90% de l'électricité à partir du charbon. L'objectif est de ramener ce taux à 60% en vingt ans. Pour ce faire, la Pologne envisage de construire deux centrales nucléaires de troisième génération d'une puissance d'environ 3000 MW chacune. Le calendrier provisoire prévoit la mise en service de la première tranche fin 2020, et des autres tranches à un intervalle de deux à trois ans.
Le ministère polonais de l'Economie estime le coût de ces investissements à 2500 euros (CHF 3070) par kilowatt électrique (kWe). Comparativement, les coûts d'une centrale au charbon non dotée d'un dispositif de séparation de CO2 s'élèvent à 1800 euros (CHF 2210) par kWe, et à 4000 euros (CHF 4900) par kWe avec dispositif de séparation de CO2. Le coût global de la production d'électricité par des centrales nucléaires, évacuation des déchets comprise, est quant à lui estimé à env. 57 euros par MWh (env. 7 ct./kWh).
Dans le cadre de la mise en œuvre du programme, le Sejm, la plus grande des deux Chambres du Parlement polonais, crée en janvier 2007 une Commission spéciale pour l'énergie nucléaire. En janvier 2009, le gouvernement polonais nomme Hanna Trojanovska responsable polonaise des questions d'énergie nucléaire. Cette dernière exerce sa fonction au rang de secrétaire d'Etat du ministère de l'Economie. Une Agence pour le développement de l'énergie nucléaire (Agencja Rozwoju Energetyki Jądrowej), chargée entre autres de la politique d'information, doit être créée en 2012. L'élaboration de conditions générales institutionnelles et légales garantissant le bon fonctionnement du secteur nucléaire est un des principaux objectifs du programme. Pour ce faire, d'une part la loi sur la préparation et la mise en oeuvre d'investissements dans la construction de centrales nucléaires a été élaborée. Et d'autre part, la modification de la loi sur l'énergie nucléaire a permis de définir de nouvelles exigences de sécurité en matière de construction et d'exploitation d'installations nucléaires, et de réglementer les questions d'évacuation des déchets.
Calendrier du programme
Le programme d'énergie nucléaire polonais comprend cinq phases. En mai 2011, le Sejm a à la fois approuvé la loi sur la préparation et la mise en œuvre d'investissements dans la construction de centrales nucléaires mais aussi les modifications de la loi sur l'énergie nucléaire. La signature du Président polonais Bronislav Komorovski en juin 2011 entérina la première phase du programme. La seconde phase, qui s'étendra de juin 2011 à fin 2013, consistera à sélectionner les sites et à conclure le contrat pour la première centrale (choix du fournisseur). La troisième phase sera consacrée au développement technique du programme et aux accords légaux. Elle durera deux ans. La quatrième phase, qui s'étendra de début 2016 à fin 2022, concernera l'autorisation et la construction de la première tranche sur le premier site, et le lancement de la construction des autres tranches, sur ce même site. Enfin, la dernière phase, qui s'achèvera en 2030, prévoit la construction de deux ou trois autres tranches sur le second site. Les coûts engendrés par la mise en place de cadres étatiques entre 2010 et 2020 sont estimés par le ministère polonais de l'Economie à environ 703 millions de zlotys (CHF 200 mio.).
En 2009, l'électricien étatique le plus important du pays, la Polska Grupa Energetyczna SA (PGE), a été mandaté par le gouvernement polonais pour mettre en œuvre le programme d'énergie nucléaire. La PGE interviendra également en tant qu'investisseur. Elle a d'ores et déjà lancé deux appels d'offres: le premier, d'une valeur estimée à plus d'1,25 milliard de zlotys (CHF 420 mio.), concerne les prestations de conseil technique en amont du projet de construction. Le second, d'une valeur de 120 millions de zlotys (CHF 40 mio.), comporte la préparation de l'étude d'impact sur l'environnement, analyse des données écologiques comprise, ainsi que les demandes d'autorisation.
Par ailleurs, la PGE a signé trois déclarations d'intention avec l'Electricité de France (EDF), la GE Hitachi Nuclear Energy (GEH) et la Westinghouse Electric Company LLC dans le but d'étudier la possibilité d'un partenariat dans le cadre de la construction des centrales sur le sol polonais. En septembre 2011, elle a organisé une conférence de deux jours à l'intention des fournisseurs en technologie nucléaire. La PGE recherche un partenaire étranger pour la construction des deux centrales, composées chacune de deux à trois tranches. Les représentants d'entreprises leader telles que Westinghouse, GE-Hitachi, Mitsubishi, Korean Electric Power Corporation (Kepco), Areva, Atomic Energy of Kanada Limited (AECL) et Atmea (joint venture d'Areva et de Mitsubishi Heavy Industries) ont participé à l'évènement. Côté polonais, la PGE, l'Agence atomique et le ministère de l'Economie étaient représentés. La PGE étudie actuellement plusieurs technologies de réacteurs et rendra sa décision d'ici fin 2013. Pour que la mise en service de la première tranche puisse être effectuée en 2020 comme prévu, le choix du site doit avoir été effectué d'ici 2016, le permis de construction avoir été obtenu et les fournisseurs avoir été sélectionnés. Selon Tomasz Zadroga, CEO de PGE, le projet est en bonne voie, et prévoir le lancement de la construction de la centrale en 2016 est réaliste.
Choix du site avant fin 2011
Lors d'une conférence organisée le 16 mars 2010, Valdemar Pavlak, vice-Premier ministre et ministre de l'Economie polonais, et Hanna Trojanovska, en charge de l'énergie nucléaire, ont présenté un classement de 27 sites potentiels de centrales nucléaires.
Les 27 sites ont été proposés par des autorités locales et des entreprises d'électricité. Le bureau d'ingénieurs-conseils Energoprojekt Varszava SA a évalué les sites potentiels en fonction de 17 critères, parmi lesquels la sûreté, la sismique, la géologie, l'hydrologie, l'impact environnemental et l'acceptation de la population. Selon Andrei Patrycy, président du conseil d'administration d'Energoprojekt Varszava, les critères sont conformes aux directives de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
On trouve en tête de la liste le site de Zarnoviec, sur les côtes de la Baltique. La Pologne avait déjà lancé la construction d'une centrale nucléaire sur ce site dans les années 1980 (voir carte). Le site qui vient au deuxième rang est celui de Varta-Klempicz, suivi par celui de Kopan en Poméranie occidentale, sur la mer Baltique. A la demande du ministère de l'Economie, la PGE, la première entreprise d'électricité polonaise, va réaliser des études plus détaillées sur quatre à six sites concernant notamment la disponibilité du terrain, les conditions de propriété et les connexions au réseau. Le site le plus approprié pour la construction de la première centrale nucléaire du pays devrait être communiqué d'ici à la fin de l'année. La Pologne souhaite exploiter ses centrales à la fois avec de l'uranium importé, et de l'uranium produit dans le pays. Une analyse des ressources en uranium présentes sur le territoire polonais est actuellement en cours, à la demande du ministère de l'Economie. La teneur en uranium des gisements polonais est estimée à 250–1100 ppm. Selon les estimations, le pays pourrait disposer de réserves d'uranium s'élevant à 100'000 tonnes.
L'évacuation des déchets et les besoins en personnel également à l'étude
Le programme d'énergie nucléaire prescrit que le plus urgent en matière d'évacuation de déchets radioactifs est de construire un dépôt de stockage profond. Une ancienne installation militaire située à Rozan, à 90 km au nord de Varsovie, fait office depuis 50 ans de lieu de dépôt des déchets de faible et de moyenne activité issus de la médecine et de la recherche. Environ 3300 m3 de déchets sont ainsi stockés dans d'anciens bunkers et dans des cuves en béton à faible profondeur, enclavés dans un sol argileux. Rozan sera prochainement fermé pour cause de saturation de ses capacités. A l'issue d'études approfondies, l'agence nationale de l'énergie atomique polonaise (Panstwowa Agencja Atomistyki) a proposé cinq sites potentiels pour la construction d'un dépôt de stockage profond (voir carte). Le site le mieux à même de recueillir ce type d'installation doit être choisi courant 2013, et sa construction achevée au plus tard en 2020.
Le programme élaboré par la Pologne nécessitera l'intervention de nombreux spécialistes hautement qualifiés. Le besoin en personnel est ainsi estimé à environ 1000 collaborateurs par tranche. Or, bien que les hautes écoles polonaises proposent déjà des filières d'études dans le nucléaire, les spécialistes font encore défaut dans ce secteur. Les institutions scientifiques polonaises encouragent actuellement de nouvelles initiatives de formation et de recherche dans ce domaine. De plus, suite à une étude portant sur le besoin en personnel de la branche nucléaire polonaise, le ministère de l'Economie travaille sur un programme de développement des ressources en personnel, qui devrait être achevé fin 2011. Celui-ci prévoit la restructuration et la modernisation de l'infrastructure existante dans les écoles professionnelles, les écoles moyennes et les hautes écoles.
Le programme d'énergie nucléaire polonais
Dans le cadre du programme d'énergie nucléaire polonais (Program Polskiej Energetyki Jądrowej), le ministère de l'Economie a lancé le 5 octobre 2011 une évaluation environnementale stratégique (EES) transfrontalière conformément à la loi polonaise sur l'information environnementale, qui s'achèvera le 4 janvier 2012. Le programme polonais présente l'étendue et la structure des mesures nécessaires à la Pologne pour devenir autonome en matière d'énergie nucléaire, et pour garantir dans ce contexte un fonctionnement sûr et performant des centrales nucléaires, la bonne marche à suivre lorsque les installations arrivent en fin de vie ainsi que la sécurité nécessaire concernant la gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs. Une traduction en allemand du programme nucléaire polonais est disponible dans l'article du E-Bulletin.
Source
Malgorzata von Werdt / M.Re. / C.B. d'après des sources diverses
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