Nouvelles avancées dans la recherche sur les neutrinos
Dans le cadre du projet Enriched Xenon Observatory 200 (EXO-200), des chercheurs se sont lancés à l’assaut d’un cas rare de désintégration nucléaire à l’aide d’un détecteur haute sensibilité afin d’étudier en détail les propriétés des neutrinos. Les premiers résultats révèlent que ces particules se comporteraient selon le modèle standard de la physique des particules élémentaires, et remettent en question l’hypothèse inverse.
L’exemple le plus connu faisant intervenir les neutrinos en physique des particules est la désintégration bêta-moins. Ce processus consiste en la transformation d’un neutron en un proton, et en l’émission d’un électron et d’un antineutrino-électron. Il peut arriver que ce phénomène se produise deux fois sans que les stades intermédiaires aient pu être observés ou mesurés. Les spécialistes parlent alors de double désintégration bêta-moins. Conformément au modèle standard, deux antineutrinos sont émis. Une hypothèse postule cependant que les neutrinos sont des particules dites de Majorana. Celles-ci ne se distinguent pas de leur antiparticule et ne portent aucune charge. Les neutrinos électriquement neutres, qui seraient identiques à leur propre antiparticule, pourraient être concernés ici. Une double désintégration bêta qui n’émettrait aucun neutrino soutiendrait cette hypothèse étant donné que les deux neutrinos se détruiraient mutuellement immédiatement après leur émission (voir graphique). Cela serait visible au fait que l’énergie totale des deux électrons émis présenterait une valeur bien précise.
Les doubles désintégrations bêta sont extrêmement rares. Pour pouvoir étudier ce processus et donc observer des doubles désintégrations bêta sans neutrinos, les chercheurs ont mis sur pied le projet EXO-200. Sa pièce maîtresse est un détecteur haute sensibilité permettant de déceler les désintégrations qui ne surviennent que tous les 1025 ans. Les premiers résultats de mesure ont été présentés en septembre 2011: ils montraient qu’après environ un mois de mesures, pour le Xe-136, la demi-vie du processus de double désintégration bêta est d’environ 2,11 x 1021 années. Or notre univers est plusieurs milliards de fois plus jeune. En d’autres termes: depuis sa création, une double désintégration bêta serait survenue pour huit milliards d’atomes de Xe-136. L’expérimentation ne s’est cependant pas arrêtée là, et la recherche de processus de désintégration sans neutrinos s’est poursuivie. En juin 2012, les chercheurs ont ainsi annoncé qu’ils n’avaient trouvé jusqu’à ce jour aucune trace de double désintégration bêta sans neutrinos. Si ce processus était observé, cela signifierait que les neutrinos sont des particules de Majorana et qu’ils possèdent une structure quantique différente des autres particules élémentaires. En d’autres termes, le modèle standard de la physique devrait être réécrit. Giorgio Gratta, professeur de physique à l’Université de Standford et porte-parole du projet EXO, se réjouit du fait qu’aucune observation de ce type n’a été faite. Cela signifie que l’activité de fond est très basse et que le détecteur réagit de manière très sensible. Ce résultat contredit celui de l’expérience de Heidelberg-Moscou, dans le laboratoire sous-terrain du Gran Sasso, en Italie, qui aurait mis en évidence il y a dix ans la présence de doubles désintégrations bêta-moins sans neutrinos, ce qui n’a cependant pas encore pu être prouvé à ce jour.
Le projet EXO-200 n’est pas terminé et des mesures continueront d’être effectuées pendant encore plusieurs années. Les chercheurs prévoient de construire un détecteur encore plus gros, et plus sensible.
EXO-200: le dispositif de mesure
La pièce maîtresse d’EXO-200 est un cylindre à paroi mince en cuivre très pur, la Time Projection Chamber (TPC, chambre à projection de temps). Celle-ci est remplie d’environ 200 kg de xénon liquide. Ce gaz noble est enrichi à raison de 80% de l’isotope Xe-136 (d’où le nom du projet) et refroidi à -100°C. Les chercheurs utilisent également le gaz liquide comme scintillateur, ce qui permet des mesures haute résolution détectant aussi bien les électrons issus des processus d’ionisation que les éclairs de scintillation. Pour pouvoir protéger au mieux ce dispositif de mesure sensible contre le rayonnement cosmique et autres influences perturbatrices, les chercheurs se sont rendus à Carlsbad, dans l’Etat américain du Nouveau-Mexique, où le Département de l’énergie (DOE) exploite le Waste Isolation Pilot Plant (WIPP), un dépôt pilote de stockage final pour déchets radioactifs, dans une mine de sel souterraine.
Le projet EXO-200 rassemble des chercheurs d’instituts de différents pays, notamment du SLAC National Accelerator Laboratory, exploité par la Stanford University pour le compte du DOE. L’Université de Berne participe également au projet.
A propos des neutrinos
Il existe trois saveurs de neutrinos: les neutrinos électroniques, muoniques et tauiques. Avec l’électron, le muon, le tau et les six quarks, les neutrinos font partie des douze particules élémentaires considérées comme indivisibles. Les neutrinos ne possèdent aucune charge électrique et traversent la matière presque sans obstacle, ce qui complexifie leur étude. Dans le plomb, le libre parcours moyen des neutrinos engendrés par exemple en grande quantité dans un réacteur nucléaire est d’un tiers d’une année lumière (environ 3 billions de kilomètres).
Source
M.B./C.B. d’après Physics World, In search of no neutrinos, avril 2010, et des communiqués de presse du SLAC du 8 septembre 2011 et du 4 juin 2012
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