La Suisse dit très nettement non à l'abandon du nucléaire et à "Moratoire-plus"
Dans le cadre des votations fédérales du 18 mai 2003, le peuple et les cantons ont rejeté les deux initiatives "Moratoire-plus" et "Sortir du nucléaire" avec une netteté encore jamais égalée pour des questions relevant de l'énergie nucléaire:
"Moratoire-plus" a échoué par 1'341'512 non, soit 58,4% des voix, contre 955'593 oui, soit 41,6% des voix. Vingt cantons et quatre demi-cantons ont rejeté "Moratoire-plus", initiative qui n'a été acceptée que par les deux demi-cantons de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne. Les résultats sont encore plus clairs pour "Sortir du nucléaire", rejetée dans les urnes par 1'540'164 non, soit 66,3% des voix, contre 783718 oui (33,7%). Seul le demi-canton de Bâle-Ville a accepté "Sortir du nucléaire". Avec un total de neuf sujets de votation, la consultation populaire était extrêmement chargée; elle a fait l'objet d'une mobilisation au-dessus de la moyenne avec un taux de participation de 48,3%. En plus des deux initiatives atomiques, les cinq autres initiatives populaires ont aussi toutes été rejetées (Initiative "pour des loyers loyaux" à 67%, "Initiative des dimanches" à 62%, "Initiative-santé" à 73%, "Initiative Droits égaux pour les personnes handicapées" à 62%, "Initiative pour des places d'apprentissage" à 68%). Les objets soumis au référendum ont par contre été très nettement acceptés, à savoir "Armée XXI" par 76% de oui, et "Protection de la population et protection civile" à 80%. Par ces décisions, le peuple et les cantons ont suivi avec une clarté extrême la recommandation "2 fois oui et 7 fois non" du Conseil fédéral et du Parlement, recommandation soutenue également avec un grand engagement par les partis bourgeois et par les organisations économiques et industrielles.
Le rejet des initiatives atomiques par 58% et 66% de non, rejet qui ne laisse place à aucune ambiguïté, tranche sur les résultats des votations fédérales de 1979 (51,2% de non à la première initiative atomique; taux de participation de 49%), de 1984 (55% de non à la deuxième initiative atomique; taux de participation de 41,1%) et de 1990 (54,6% de oui au moratoire 1990-2000; 52,9% de non à l'initiative sur l'abandon du nucléaire; taux de participation de 39,6%).
Le dimanche de la votation, la nouvelle du rejet brutal des initiatives antinucléaires a placé en quelques heures une opinion publique stupéfaite devant une évidence que les spécialistes de la branche avaient déjà constatée ou supputée depuis des années, à savoir que la scène de l'énergie nucléaire suisse n'est plus la même en 2003 que ce qu'elle était avant le moratoire 1990-2000. Avec l'inscription dans la Constitution d'une interdiction de dix ans de toute autorisation de nouvelle centrale nucléaire, l'énergie atomique avait disparu depuis 1990 de la liste des thèmes politiques d'intérêt national. L'un des éléments importants qui explique l'accalmie est certainement le fait que le moratoire accepté en 1990 ne touchait en rien les centrales nucléaires existantes. Ceci n'a pas manqué d'entraîner un certain apaisement de la controverse polarisée, intense et haineuse qui a été menée sur l'énergie nucléaire du milieu des années 70 jusqu'en 1990. Tout le monde était content que le sujet qui fâche ne soit plus d'actualité pour l'instant. Des thèmes nucléaires tels que la prolongation des autorisations d'exploitation de Mühleberg et de Beznau 2, les augmentations de puissance ou les travaux sur l'évacuation des déchets au Wellenberg n'ont soulevé qu'un intérêt régional et n'ont pas fait l'objet d'un écho spécial dans les médias nationaux. Dans les années 90, l'énergie nucléaire est devenue un sujet plus normal, presque un sujet banal. Les activistes des milieux d'opposants ont suscité un retentissement toujours plus faible par rapport à avant 1990. Ce changement est entré inconsciemment dans les esprits, en tous cas il n'a guère été mis en exergue dans les médias. Le 1er avril 2000, la chaîne de télévision suisse alémanique DRS fit quand même le commentaire suivant sur la force de mobilisation que les activistes avaient rassemblée pour le 25e anniversaire de l'occupation du site de la centrale nucléaire de Kaiseraugst: "... 25 ans après, les fronts se sont apaisés. L'entreprise qui a succédé à la centrale nucléaire avait même donné son autorisation pour cette fête commémorative sur le terrain historique. C'est donc en toute légalité que quelque 200 activistes grisonnants ont pu manifester leur nostalgie ..." C'est tout ce qui restait ou, pour être plus juste, c'est le peu qui restait, à la fin du moratoire 1990-2000, du "mouvement" qui avait mobilisé en son temps des milliers de personnes. Compte tenu de cet apaisement du débat houleux qui régnait auparavant, on comprend après coup que dans la foulée de "l'offre de dialogue des centrales nucléaires suisses" de 1995 à 1999, campagne connue entre autres par des spots télévisés, une nouvelle culture de la communication se soit instaurée: d'une part, des particuliers intéressés, et aussi des journalistes, ont recommencé, après des années, à poser spontanément des questions sur l'énergie nucléaire. D'autre part, il est tout d'un coup redevenu possible de discuter tout à fait normalement sur le nucléaire. De toute évidence, l'ancienne polarisation n'intimidait plus, les personnes prêtes au dialogue marquaient leur présence par des questions, on écoutait son interlocuteur et on le prenait au sérieux. Cela aurait été naturellement pure spéculation que de prétendre que cette situation de normalité parviendrait à persister pendant toute une campagne de votation.
Au lendemain de cette votation du 18 mai, il y a lieu de constater que la campagne intense menée des deux côtés-par les représentants d'une poursuite de l'utilisation du nucléaire et par les antinucléaires - s'est déroulée sans retombée générale dans l'aigreur de l'avant-moratorium, sans perte totale de la normalité. C'est ainsi que la plupart des mass médias ont traité les deux initiatives atomiques comme l'un des éléments des neufs objets de votation, de manière certes très large, mais dans le respect démocratique des deux parties. Quoi qu'il en soit, la nette majorité des votants ne s'est laissée entraîner ni dans la promesse, répétée depuis 30 ans, selon laquelle les "nouvelles énergies renouvelables" rendraient l'énergie nucléaire superflue, ni dans les scénarios d'épouvante agités à satiété, ni non plus dans les fausses affirmations véhiculées aussi par notre ministre de l'énergie, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger, sur les dégâts environnementaux que provoquerait l'énergie nucléaire. Le peuple et les cantons ont suivi le point de vue pragmatique du Conseil fédéral, du Parlement, des partis bourgeois, des organisations économiques et des spécialistes nucléaires selon lequel l'abandon de l'énergie nucléaire conformément aux deux scénarios de "Moratoire-plus" et de "Sortir du nucléaire" aurait été irréaliste, cher et erroné.
La décision de "non au non-sens" prise le 18 mai 2003 par le Souverain confère tout d'abord une grande responsabilité aux exploitants des centrales nucléaires, à savoir celle de préparer leurs installations pour une exploitation sûre pendant 50 ans (Beznau et Mühleberg) et 60 ans (Gösgen et Leibstadt) par des investissements correspondants - ceci pour autant que cela soit judicieux sur le plan économique. Mais il s'agit aussi de gagner le soutien des milieux politiques pour résoudre dans la pratique la tâche du stockage final durable des déchets radioactifs. Ces deux obligations ne sont pas nouvelles. Ce qui serait nouveau par contre, ce serait de réfléchir sur la manière dont la politique énergétique suisse, politique désaxée qui semble tourner en rond depuis 30 ans et s'oriente toujours vers de nouvelles taxes et subventions, malgré la volonté contraire manifestée x fois dans les urnes par le citoyen, pourrait se transformer en un système utile, sain et adapté à la réalité dans un contexte économique et politique donné.
Source
P.H./C.P.
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