Comment éviter la grande crise de l’eau? Les atouts du dessalement nucléaire
Le climat? L’énergie? De sacrés défis. Mais c’est dans le domaine de l’eau potable que se joue, surtout, l’avenir de l’humanité. Au moment où les réserves souterraines tendent à s’épuiser, le dessalement de l’eau de mer pourrait rapidement s’avérer indispensable. Une solution irréaliste à grande échelle sans le recours intensif au nucléaire.
Les nappes phréatiques sont la principale source d'eau potable pour plus de trois milliards d'individus. A quoi s'ajoute le fait qu'une part importante des ressources alimentaires de nombreux pays repose sur l'irrigation à partir de ces réserves souterraines. Or ces dernières tendent à s'épuiser. Depuis le milieu du siècle passé, l'homme les utilise à un rythme supérieur à leur capacité de régénération naturelle.
L'eau douce représente 3% des réserves mondiales, soit l'équivalent de 35 millions de kilomètres cubes. Un pactole a priori confortable. Mais plus des deux tiers de ce pactole sont retenus dans les calottes polaires, les glaciers et des aquifères inaccessibles. De fait, près de 40'000 kilomètres cubes d'eau douce sont disponibles sur une base annuelle. Ces réserves sont inégalement réparties. Une dizaine de pays s'en partagent 60%, tandis que plusieurs dizaines d'autres, principalement en Afrique et au Proche-Orient, subissent des pénuries chroniques.
Maturité industrielle
Près d'un milliard et demi d'êtres humains n'ont pas accès à l'eau potable. Cette carence est l'une des principales causes de sous-développement endémique. Elle pourrait aussi devenir à terme une nouvelle source de tensions politiques et de guerres. C'est dire l'intérêt que présente toute possibilité d'accroître les capacités de production d'eau douce.
Une solution prometteuse existe déjà. Grâce aux technologies de dessalement, les régions côtières pourront être durablement approvisionnées. Et une partie importante des 13 millions de mètres cubes d'eau salée ou saumâtre souterraine pourra être valorisée pour l'alimentation des régions enclavées au cœur des grandes masses continentales.
Le dessalement est arrivé à maturité industrielle. La distillation et l'osmose inverse sont les procédés les plus fréquemment utilisés. La distillation consiste à évaporer l'eau de mer par rayonnement solaire ou en chaudière. Libérée des sels et des autres substances volatiles, la vapeur est condensée, puis récupérée.
L'osmose inverse nécessite quant à elle de traiter dans un premier temps l'eau de mer en la filtrant pour la débarrasser des éléments en suspension et des micro-organismes qu'elle contient. On applique ensuite à l'eau épurée une pression suffisante pour la faire passer à travers une membrane semi-perméable qui retient les sels.
Hors de prix
L'inconvénient majeur de ces systèmes réside dans les besoins élevés en énergie, soit de 6 à 15 kilowattheures d'électricité par mètre cube d'eau selon la méthode utilisée. La capacité mondiale de dessalement atteint actuellement un peu moins de 40 millions de mètres cubes par jour, avec 12'000 unités de production, dont la moitié se situent au Proche-Orient. Les pays du Golfe ont déjà investi plus de 100 milliards de dollars dans la construction et l'exploitation d'usines de dessalement.
Le coût de production moyen de ces ouvrages, qui utilisent des agents fossiles comme énergie primaire, est de l'ordre de 1 à 2 dollars par mètre cube d'eau. Ce niveau de prix reste prohibitif pour un dessalement à grande échelle dans les pays en développement. Une réduction d'un facteur 5 à 10 suppose un recours à des énergies moins onéreuses, et moins polluantes par la même occasion.
Le nucléaire pourrait s'imposer rapidement comme une source de dessalement majeure. Des expériences menées dans plusieurs régions du monde l'ont d'ores et déjà démontré. Un réacteur à neutrons rapides de 135 mégawatts a fonctionné pendant vingt-sept ans à Aktau (Kazakhstan), produisant simultanément de l'électricité et 80'000 mètres cubes d'eau potable par jour. Au Japon, une dizaine de petites stations de dessalement sont couplées à des réacteurs à eau pressurisée.
Eau lourde pour eau douce
Le développement de réacteurs destinés au dessalement fait l'objet de programmes en Russie et en Chine également. La centrale russe à eau bouillante VK-300 (voir le schéma ci-contre) et le réacteur à haute température chinois NHR-200 sont conçus pour la production simultanée d'électricité et d'eau douce, avec la possibilité d'alimenter des réseaux de chauffage à distance.
Dans ces systèmes, la distillation devrait s'imposer comme méthode de dessalement. Une fois en activité, les unités VK-300 fourniront près de 3 milliards de kilowattheures par année et 300'000 mètres cubes d'eau douce par jour. Le premier NHR-200 chinois devrait entrer en service au cours de 2007, avec une production quotidienne de 160'000 mètres cubes d'eau.
Un autre projet consiste à coupler le réacteur à eau lourde Candu 6 à des unités de dessalement développées par le groupe canadien Candesal, qui est à l'origine d'un concept de préchauffage de l'eau salée avant son traitement par osmose inverse. Cette société travaille aussi avec des partenaires russes à la mise au point d'un système de dessalement nucléaire flottant. Il permettra d'alimenter des pays en énergie et en eau sans qu'il soit nécessaire d'engager de lourds investissements en infrastructures terrestres.
On utilisera à cet effet un système inspiré des brise-glaces nucléaires russes. Un ouvrage flottant de 70 mégawatts thermiques permettra de produire en distillation ou osmose inverse près de 80'000 mètres cubes d'eau douce par jour, en plus d'un demi-milliard de kilowattheures d'électricité par an. Le port de Severodvinsk, au nord de la Sibérie, pourrait accueillir la première usine flottante d'ici à 2010. Plusieurs pays, tels la Chine ou l'Indonésie, ont d'ores et déjà exprimé leur intérêt pour ce type de centrale.
Atouts économiques
D'autres projets sont en cours ailleurs dans le monde. La Corée du Sud a développé son propre réacteur de 330 MW pour la cogénératon d'eau douce et d'électricité. L'Argentine travaille sur son Carem-25, un réacteur de 100 mégawatts. L'Inde a construit une usine de démonstration sur le site nucléaire de Kalpakkam, près de Madras. Cette installation de dessalement est couplée à deux réacteurs à eau lourde d'une puissance unitaire de 170 mégawatts. Elle produit près de 70'000 mètres cubes d'eau douce par jour.
Les réacteurs à haute température se prêteront eux aussi à la production d'eau douce. A l'image du PBMR (Peeble Bed Modular Reactor), développé en Afrique du Sud. Des usines de dessalement pourront être couplées à ce type de réacteur refroidi à l'hélium, qui fonctionne à une température de 900° C. Dans le processus à osmose inverse, l'eau de mer issue du circuit de refroidissement sort à la température optimale pour le dessalement.
Le cas échéant, une partie de l'électricité produite par le réacteur sera utilisée pour actionner les pompes à haute pression liées au processus d'osmose inverse. La capacité de dessalement d'un PBMR de 600 mégawatts, en plus des 4 milliards de kilowattheures d'électricité disponibles, atteindra 80'000 mètres cubes d'eau douce par jour en osmose inverse ou 12'000 mètres cubes en mode distillation.
Outre les avantages en termes de suppression de pollution et de gaz à effet de serre, le dessalement nucléaire présente des atouts économiques considérables. Etant donné que ces ouvrages fourniront simultanément de très grandes quantités d'électricité, le coût effectif de la production d'eau douce restera négligeable en comparaison des installations alimentées en combustibles fossiles.
Source
J.B.