Cancers infantiles au voisinage de centrales nucléaires
La recherche menée sur la cause des cancers constatés dans les environs de centrales nucléaires fait l'objet de nombreuses études. L'une de ces études, publiée au milieu de l'année dernière, est commentée en détail ci-dessous. L'expert en radioprotection Serge Prêtre présente les résultats de cette étude et de travaux similaires dans un contexte spécifique global et rend compte des efforts entrepris en vue d'une étude suisse.
Méta-analyse sur les cas de leucémies infantiles
La méta-analyse publiée en juillet 2007 dans la revue «European Journal of Cancer Care» indique une incidence plus élevée de leucémies parmi les enfants et les jeunes vivant dans les environs d'installations nucléaires. Jusqu'à présent, les raisons de ce phénomène ne sont pas claires, confirment les auteurs de l'Université de médecine de la Caroline du Sud dans la revue spécialisée.
Dans cette étude intitulée «Meta-Analysis of standardized incidence and mortality rates of childhood leukaemia in proximity to nuclear facilities», les chercheurs réunis autour de Peter Baker ont évalué 17 études sur des cas de leucémie et des décès par leucémie dans les environs d'installations nucléaires. Du fait du nombre élevé de ces études, les auteurs ont pu intégrer des données provenant de 136 installations nucléaires aux Etats-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, au Japon, en France, en Espagne et en Allemagne. Le nombre de maladies et de décès inclus dans les calculs n'est pas cité. Les études ont été évaluées aussi bien en fonction du groupe d'âge que d'après la localisation géographique. Lorsque la conception des études initiales le permettait, les groupes d'âges ont été répartis comme suit: enfants de 0 à 9 ans, et enfants et jeunes adultes de 0 à 25 ans. Selon les informations de base fournies, une classification géographique a pu en partie se faire pour les enfants habitant à une distance plus proche que 16 km.
Les auteurs parviennent à la conclusion que les enfants et les jeunes vivant à proximité d'installations nucléaires sont exposés à un risque significativement plus élevé de contracter une leucémie et d'en mourir que les enfants qui n'ont pas grandi dans une telle proximité. La probabilité de décéder d'une leucémie est d'autant plus élevée que le lieu d'habitation des enfants est proche. Pour les enfants de 0 à 9 ans vivant à proximité d'une installation nucléaire, la méta-analyse indique une élévation du risque de jusqu'à 24%.
Raison encore inexpliquée
La méta-analyse n'a pas fourni de réponse à la question de la raison de cette élévation du risque, constatent les auteurs. Il est important de comprendre que de nombreuses questions sont encore en suspens. Il a ainsi été prouvé par exemple que les rayonnements ionisants constituent un facteur de risque d'occurrence de leucémies. Comme le soulignent encore les auteurs, plusieurs études ont démontré de manière significative que les rayonnements issus d'installations nucléaires étaient trop faibles pour entrer en considération comme cause de l'augmentation du taux de leucémies.
D.S./C.P. d'après l'European Journal of Cancer Care, juillet 2007
Un commentaire sur les études relatives à la fréquence de leucémies infantiles
Par Serge Prêtre, président adjoint du Comité international de technologie nucléaire de Länder (Internationale Länderkommission Kerntechnik, ILK), ancien directeur de la Division principale de la sécurité des installations nucléaires (DSN) et consultant auprès de la Commission internationale de protection radiologique
Depuis environ 30 ans, on voit régulièrement apparaître dans les revues spécialisées (par exemple sur l'incidence du cancer ou l'épidémiologie) des études statistiques traitant du cancer ou de la leucémie chez les enfants vivant à proximité des installations nucléaires. Ces études sont bourrées de chiffres savamment traités selon les lois de la statistique et analysent en général un seul site ou quelques sites ou l'ensemble des sites nucléaires d'un pays. Elles arrivent souvent à la conclusion que l'incidence du cancer ou de la leucémie chez les jeunes enfants vivant à proximité immédiate des installations nucléaires, est un peu plus élevée que la moyenne régionale. Cette augmentation est généralement minime (environ 5% à 10%) et n'est souvent pas statistiquement significative à cause du nombre très faible de cas.
A chaque fois qu'une nouvelle étude de ce genre apparaît, elle est savamment colportée par les milieux anti-nucléaires et mise en valeur par les médias. Les milieux pronucléaires se retrouvent sur la défensive et ne savent pas très bien quoi dire. Et pourtant, il y aurait une argumentation extrêmement puissante et convaincante. Ces études s'appuient sur différentes méthodes analytiques et de ce fait ne sont pas directement comparables. Malgré tout, dans la méta-analyse en question ici (voir l'article précédent), un essai a été entrepris en vue de grouper 17 de ces études, traitant au total de 136 sites d'installations nucléaires, afin d'augmenter le pouvoir statistique de l'ensemble. Dans cet ensemble hétéroclite, les sites de Sellafield et de La Hague (installations de retraitement) jouent un rôle dominant et ne devraient pas être mêlés à une étude sur les centrales électronucléaires.
Dans cette méta-analyse 136 sites ont été traités en vrac sans se demander si les installations correspondantes étaient vraiment en exploitation. Certains statisticiens (par ex. Thomas Kinzelmann) ont eu la curiosité de ne considérer que les centrales nucléaires et de former 2 groupes de sites: le groupe des centrales nucléaires véritablement en exploitation et donc rejetant un peu de radioactivité dans l'environnement, et d'autre part, le groupe des centrales nucléaires qui ne sont jamais entrées en exploitation ou dont la construction a été stoppée ou dure depuis longtemps. Et le résultat est frappant: l'augmentation du taux de cancers ou de leucémies chez les jeunes enfants est pratiquement la même pour les deux groupes de centrales nucléaires. Donc la radioactivité ne peut pas être la cause de ce taux un peu plus élevé de leucémies chez les jeunes enfants.
Ça, on le savait déjà, car les rejets de radioactivité des centrales nucléaires sont beaucoup trop faibles pour pouvoir être la cause du phénomène. Les études faites à ce sujet sont unanimes, mais les médias s'arrangent toujours pour laisser planer un doute. Avec la démonstration que le problème «leucémie» apparaît aussi autour de sites où l'installation n'a jamais été mise en exploitation, le doute en question n'est plus permis. Si on pousse la curiosité plus loin et qu'on extrapole un peu, ce phénomène devrait apparaître aussi dans le cas de l'implantation en rase campagne d'une grande installation moderne (par exemple: aéroport, shopping centre, institut de recherches, raffinerie de pétrole) attirant des spécialistes issus des grandes villes. Malheureusement, aucune organisation n'a jusqu'à présent voulu financer une telle étude.
Selon plusieurs biologistes (par ex. Gilham C., Peto J. et al) le phénomène observé pourrait s'expliquer par le brassage de populations. L'arrivée de citadins porteurs d'agents infectieux dans une région relativement isolée et peuplée par une population autochtone n'ayant pas encore acquis les nouvelles défenses immunitaires, pourrait être le début d'une nouvelle explication. Une étude européenne (EUROCLUS 1998), a conclu que la tendance à former des agrégats (clusters) de leucémies du jeune enfant en Europe était fonction de la densité de population. Cette probabilité de leucémie du jeune enfant passerait par un maximum dans les régions qui ne sont plus vraiment campagnardes et pas encore vraiment citadines (150-500 habitants/km2). Cette conclusion vient fortement étayer l'hypothèse du brassage de populations.
Autre explication possible: Le phénomène en question pourrait être purement méthodologique, dû au traitement statistique des données disponibles. En tout cas, si on met en route une étude sur les sites suisses, on devrait y inclure les sites envisagés à l'époque de Graben (BE), Inwil (LU), Rüthi (SG) et Kaiseraugst (AG).
Sources
- Alexander F.E. et al (1998) Spatial clustering of childhood leukaemia: summary results from the Euroclus project, Br J Cancer 77: 818-824
- Baker, P.J./Hoel, D.G. (2007) Meta-analysis of standardized incidence and mortality rates of childhood leukaemia in proximity to nuclear facilities, European Journal of Cancer Care 16: 355-363
- Gilham, C./ Peto, J. et al (2005) Day care in infancy and risk of childhood acute lymphoblastic leukaemia; findings from UK case control study, BMJ 1330: 1294
- Kinzelmann T. (2007) Metaanalysen zu Leukämieerkrankungen bei Kindern in der Umgebung kerntechnischer Anlagen, Strahlenschutzpraxis 4/2007: 62-64
Etude suisse sur la leucémie infantile envisagée
Comme l'ont suggéré l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) et la Ligue contre le cancer Suisse, le Registre suisse du cancer de l'enfant va probablement élaborer une étude sur les cas de cancers parmi les enfants vivant à proximité de centrales nucléaires. La Confédération réagira ainsi à diverses demandes sur ce thème émanant du Conseil national.
C'est l'Institut de médecine sociale et préventive de l'Université de Berne qui abrite le Registre suisse du cancer de l'enfant. Selon les informations fournies par Claudia Kuehni, directrice du Registre suisse du cancer de l'enfant, une demande de recherche relative à une étude sur les cancers parmi les enfants vivant à proximité de centrales nucléaires a été présentée mi-mars 2008 à la Ligue contre le cancer et à l'OFSP. L'évaluation de cette demande durera probablement jusqu'à début mai 2008. C'est à cette date seulement que l'on saura si l'étude peut être réalisée, et sous quelle forme, a précisé Mme Kuehni.
D.S./C.P. d'après une communication personnelle de Claudia Kuehni de fin mars 2008
Propositions de parlementaires fédéraux
Trois motions et un postulat sur le thème des études sur le cancer et des centrales nucléaires ont été présentés au Conseil national en décembre 2007.
Dans le postulat «Centrales nucléaires en Suisse - Etude sur le cancer des enfants» de Bastien Girod (PES, ZH), le Conseil fédéral est chargé de faire réaliser une étude sur les cas de cancer chez les enfants qui résident à proximité d'une centrale nucléaire. Dans sa réponse du 7 mars 2008, le Conseil fédéral recommande l'adoption du postulat. Il se déclare prêt à commanditer une étude correspondante sur la base des données du Registre suisse du cancer de l'enfant. Les premiers résultats devraient être disponibles en 2010. Le postulat n'a pas encore été traité au Conseil national.
La motion de Rudolf Rechsteiner (PS, BS) «Cancers et centrales nucléaires. Clarifications» a déjà été examinée au Conseil national. Parallèlement à une étude cas-témoins sur les enfants, elle demande une étude sur le taux de cancer chez les adultes vivant à proximité d'une centrale nucléaire. Le Conseil national a suivi les recommandations du Conseil fédéral et a accepté le point relatif à l'étude sur le cancer des enfants, mais a rejeté les autres points.
Le Conseil fédéral recommande le rejet des deux motions «Cancer et centrales nucléaires. Examen de la méthode et des valeurs limites» d'Eric Nussbaumer (PS, BL), et de «Cancer et centrales nucléaires. Responsabilité» de Roger Nordmann (PS, VD). Ces deux motions n'ont pas encore été traitées au Conseil (motions 07.3815, 07.3817 et 07.3838, et postulat 07.3821)
Articles sur le même thème
Le Parlement adopte la motion sur l’étude relative aux leucémies
4 janv. 2009•NouvellesEtude sur le cancer infantile en Allemagne: la radioexposition n’explique rien
17 nov. 2008•NouvellesDémarrage de l’étude suisse sur le cancer infantile à proximité de centrales nucléaires
18 sept. 2008•NouvellesConférence annuelle de la Commission franco-suisse de sûreté nucléaire et de radioprotection
3 août 2008•Nouvelles