Belgique: mise à l’arrêt définitif de Tihange 2 malgré les critiques

Le 31 janvier 2023, l’exploitant Engie-Electrabel a définitivement déconnecté du réseau le réacteur à eau pressurisée de Tihange 2, au terme de 40 années d’exploitation. Tihange 2 est ainsi la deuxième des sept unités nucléaires belges, après Doel 3, à être mise à l’arrêt. Malgré les annonces relatives à la prolongation de dix ans de la durée de vie de Tihange 3 et Doel 4, la sortie du nucléaire en Belgique se heurte à une opposition croissante.

1 févr. 2023
La centrale nucléaire de Tihange
Le 31 janvier 2023, la tranche 2 de la centrale nucléaire de Tihange a été définitivement mis à l’arrêt après 40 années d’exploitation. Il s’agit de la deuxième fermeture d’une tranche nucléaire belge dans le cadre de la sortie du nucléaire du pays.
Source: Déclaration environnementale Tihange 2022 d’Engie-Electrabel

Après Doel 3 le 23 septembre 2022, la tranche 2 de la centrale nucléaire de Tihange a elle aussi été définitivement déconnectée du réseau le 31 janvier 2023 à 22h45, au terme de 40 années d’exploitation. Une mise à l’arrêt imposée par la loi belge de 2003 sur la sortie du nucléaire.

Selon Engie-Electrabel, les premières activités dans le cadre de la mise à l’arrêt définitif et du démantèlement qui suivra débuteront prochainement. «Peu après l’arrêt, les opérateurs ouvriront une dernière fois le réacteur, en retireront tout le combustible et le transféreront dans les piscines de refroidissement. Pour éliminer autant de radioactivité que possible des installations, le personnel procédera au rinçage du circuit primaire à l’aide d’une solution chimique», a communiqué l’entreprise.

À partir de 2024, les exploitants commenceront à transférer les combustibles plus anciens vers des conteneurs d’entreposage et de transport spéciaux. La vidange complète des bassins de refroidissement finira en 2027; 99% de la radioactivité totale aura alors disparu des installations. Parallèlement, le personnel mettra progressivement hors service les systèmes devenus inutiles. Les premières activités de démantèlement de Tihange 2 débuteront vers 2026.

Antoine Assice, directeur de la centrale nucléaire de Tihange, a remercié le personnel pour son travail et exprimé sa fierté d’avoir produit de l’électricité en toute sûreté pendant quatre décennies. Il a également précisé que les collaborateurs ont soigneusement préparé depuis plusieurs années le démantèlement de Tihange 2 et qu’ils feront preuve «du même engagement, des mêmes compétences et fiertés professionnelles que jusqu’à présent» pour mener à bien cette nouvelle étape. Avant de conclure: «La sûreté nucléaire reste et restera toujours notre première priorité, et ce jusqu’au dernier jour.»

La centrale nucléaire de Tihange, dans la province de Liège, compte trois réacteurs à eau pressurisée, mis en service respectivement le 1er octobre 1975 (Tihange 1), le 1er février 1983 (Tihange 2) et le 1er septembre 1985 (Tihange 3). Avant l’arrêt définitif de Tihange 2, la centrale affichait une puissance globale de 3008 MW et représentait environ un quart de la production totale d’électricité de la Belgique. L’autre site nucléaire du pays, Doel près d’Anvers, compte quatre réacteurs. En 2021, la part du nucléaire dans le mix électrique belge avoisinait 40%.

Procédure en cours pour la prolongation de la durée de vie de Tihange 3 et Doel 4
En 2003, la Belgique a décidé de sortir du nucléaire et de mettre à l’arrêt d’ici à 2025 ses sept tranches nucléaires en exploitation. La perte de capacité de production devait être compensée par le développement des énergies renouvelables et des centrales à gaz. Compte tenu des perturbations du marché de l’énergie, le Premier ministre belge Alexander de Croo a annoncé vouloir prolonger la durée de vie de Tihange 3 et Doel 4 de dix ans – soit jusqu’en 2035. Le 9 janvier 2023, il a ainsi déclaré avoir conclu un accord avec Engie-Electrabel au sujet de cette prolongation, mais que le contrat définitif n'avait pas encore été signé. En cas de concrétisation du contrat prévu, les deux tranches nucléaires seront déconnectées du réseau en 2025 et remises en exploitation en 2026, après la réalisation des travaux requis pour prolonger leur durée de vie.

En vertu de la loi belge de 2003 sur la sortie du nucléaire, une centrale nucléaire ne peut être exploitée au-delà de 40 ans. Les tranches Doel 1 et 2 (respectivement connectées au réseau depuis 1974 et 1975) ont cependant vu leur autorisation d’exploitation prolongée de dix ans en 2015, conformément à une décision gouvernementale de juillet 2012. En l’absence de nouvelles prolongations, Doel 1 devra être arrêtée le 5 février 2025, Tihange 1 le 1er octobre 2025 et Doel 2 le 1er décembre 2025.

Si des voix contre la sortie du nucléaire s’élèvent également en Allemagne, d’autres, à l’instar de la ministre allemande de l’Environnement Steffi Lemke, saluent la mise à l’arrêt de Tihange 2 en évoquant des raisons de sécurité. Et ce, bien que les investigations approfondies réalisées à la suite des anomalies constatées dans la paroi de la cuve du réacteur (contrôles sur Doel 3 et Tihange 2 durant l’été 2012) n’aient pas révélé d’impact négatif sur la sûreté d’exploitation de ces réacteurs.

Critiques sur la faible prolongation des durées de vie et les mises à l’arrêt
En Belgique, les critiques portent également sur le caractère très modeste des prolongations de durée de vie. L’association professionnelle nucleareurope (anciennement Foratom) s’est certes réjouie de ces mesures, mais en déclarant que «prolonger seulement deux réacteurs pendant 10 ans (et non 20) ne suffira pas à garantir un approvisionnement stable en électricité à faible teneur en carbone à un coût abordable.»

Le parti belge Démocrate Fédéraliste Indépendant (DéFI) a pour sa part publié sur son site Internet le communiqué suivant: «Certes, dans l’immédiat, il convient de prolonger les deux réacteurs les plus récents [Doel 4 et Tihange 3], et ce pour 20 ans et non 10. Mais il faut surtout, et rapidement, investir dans le nucléaire nouvelle génération [génération IV].» Le président du DéFI François De Smet a commenté sur Twitter: «Pour DéFI, cette fermeture [de Tihange 2] plonge la Belgique un peu plus dans l’incertitude.» Bart De Wever, de la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA), parti flamand de droite, a quant à lui twitté: «Après l’arrêt de Doel 3 en septembre, Tihange 2 fermera également demain. Ensemble, ils ont fourni presque autant d’électricité que le solaire et l’éolien réunis. Une tragédie. Garder le plus de réacteurs nucléaires en activité le plus longtemps possible devrait être une priorité absolue.»

Le Forum nucléaire belge réclame l’abrogation de la loi sur la sortie du nucléaire
Le Forum nucléaire belge (FNB) a réclamé, le 24 janvier 2023, l’abrogation de la loi de 2003 sur la sortie du nucléaire, soulignant que de nombreux pays européens comme la France, les Pays-Bas, la Finlande ou la Suède avaient abandonné l'idée de sortir du nucléaire. Selon le FNB, cette décision a été prise en Belgique à un moment où il n’y avait pas encore de crise énergétique. La loi reposait sur l’argument qu’une centrale nucléaire serait obsolète au bout de 40 ans et qu’elle devrait alors être mise à l’arrêt, ce que conteste le FNB: «Il n’y a pas d’arguments techniques pour arrêter définitivement une centrale nucléaire après 40 ans d’exploitation, mais seulement des arguments politiques.»

Les installations belges sont inspectées et entretenues tous les 12 à 18 mois, et elles font l’objet d’une évaluation de sécurité approfondie tous les 10 ans. «Dans ce processus, des centaines de millions d’euros sont investis pour maintenir nos installations nucléaires au niveau de sécurité le plus élevé possible», indique le FNB. «Les installations nucléaires de la Belgique sont en très bon état.»

Un facteur important pour la sécurité de l’approvisionnement énergétique et un atout pour le climat
Le FNB rappelle que les centrales nucléaires sont importantes pour la sécurité de l’approvisionnement énergétique du pays et qu’elles contribuent à la lutte mondiale contre le réchauffement climatique en produisant de l’électricité respectueuse du climat. À l’avenir, elles pourraient même produire de l’hydrogène, en remplacement du fuel. C’est d’ailleurs de fuel qu’il était question lorsque la Belgique s’est lancée dans le nucléaire: «À la fin des années 1960, la Belgique a opté pour l’énergie nucléaire pour produire une partie de son électricité. La consommation était en hausse et les combustibles fossiles ne pouvaient plus faire face à cette demande croissante d’énergie. Le gouvernement a dès lors décidé de construire quatre réacteurs nucléaires à Doel et trois à Tihange […] pour limiter la dépendance de la Belgique vis-à-vis du pétrole», peut-on lire sur la page du site Internet d’Engie-Electrabel dédiée à la centrale nucléaire de Tihange.

Le FNB estime que, même en cas de développement des nouvelles énergies renouvelables, l’énergie nucléaire restera nécessaire sous la forme de petits réacteurs modulaires (SMR): «Ces SMR auront l’avantage d’être flexibles, ce qui permettra à leur rendement et à leur production de s’adapter à la nature erratique et intermittente des énergies renouvelables […].» Il espère en outre que l’opposition à l’énergie nucléaire diminuera grâce à l’utilisation des SMR, qui pourraient également permettre de produire de l’hydrogène et de la chaleur.

Source

B.G./A.T., d’après un communiqué d’Engie-Electrabel et sa page Internet dédiée à la centrale nucléaire de Tihange, en date du 31 janvier 2023; un article publié sur le site Internet du Forum nucléaire belge le 24 janvier 2023; un communiqué de Nucleareurope du 10 janvier 2023; la page Internet DéFI dédiée aux idées du parti, consultée en 2023; un tweet de François De Smet du 30 janvier 2023; un tweet de Bart de Wever du 30 janvier 2023

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