Renouvelables contre nucléaire: le bon combat?

«Le nucléaire et les énergies renouvelables sont en fait un couple d’amoureux qui devraient filer le parfait amour, car ils vont très bien ensemble.» Formulée par la consultante nucléaire Natalia Amosova lors d’un podcast NucTalk, cette affirmation recèle une bonne part de vérité. Pourtant, il n’y a pas la moindre trace de romance entre les deux sources d’énergie qui alimentent la Suisse en électricité de manière éminemment respectueuse du climat depuis des décennies. Pire, avec la décision d’interdire la construction de nouvelles centrales nucléaires, le divorce a pratiquement été consommé.

10 nov. 2023
Kernenergie und Erneuerbare
Alors qu’en Suisse, les sources d’énergie respectueuses du climat sont de plus en plus mises en concurrence, d’autres pays privilégient une combinaison entre l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables.
Source: Vaclav Volrab via Dreamstime.com

La Suisse est le théâtre d’une «escarmouche technologique» qui divise l’opinion publique. Dans ce débat très polarisé, on oppose de plus en plus atome et énergies renouvelables. Trop souvent déconnectés des faits, les échanges se caractérisent par un style et un ton très idéologiques et par des avis très tranchés. Et les décideurs politiques présentent comme des références absolues les études allant dans le sens de leur propre position.

Du côté des antinucléaires, on présente comme autant de tares fondamentales de l’atome, avec une malice presque jubilatoire, les retards et les dépassements budgétaires ayant marqué la construction de certaines centrales nucléaires, les scénarios à risques autour de la centrale nucléaire de Zaporijia et les problèmes touchant les installations nucléaires françaises. Le tout est assaisonné du sempiternel «trop cher et trop long à construire», et des traditionnelles platitudes sur Tchernobyl et Fukushima ainsi que sur le problème (prétendument) non résolu des déchets.

Les pronucléaires ne brillent pas non plus par leur sens de la nuance: pour bon nombre d’entre eux, les énergies renouvelables ne fournissent que du courant fluctuant et ne peuvent que nous mener tout droit à la panne d’électricité généralisée. Et beaucoup partagent avec frénésie sur les réseaux sociaux des vidéos montrant des éoliennes en feu ou qui s’effondrent, ou encore des parcs solaires détruits par la grêle, afin de prouver l’inadéquation de ces énergies.

S’ils ne sont pas vraiment nouveaux, tous ces arguments révèlent de profonds clivages entre les deux parties. Et ils reposent malheureusement sur le cliché technologique courant du «soit l’un, soit l’autre», qui complique singulièrement un rapprochement constructif entre les deux camps.

À l’étranger, on favorise une stratégie énergétique du type «aussi bien l’un que l’autre»

L’exemple de l’étranger nous montre qu’une stratégie du type «aussi bien l’un que l’autre» peut fonctionner. Ainsi la Suède (pays dont le mix électrique est comparable au nôtre) a récemment modifié ses objectifs énergétiques, passant du «100% renouvelable» au «100% non fossile», qui inclut l’énergie nucléaire. Technologiquement ouverte, cette politique énergétique et climatique semble logique et cohérente. Mais elle est surtout représentative d’une évolution largement répandue au plan international, dans laquelle l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables sont considérées ensemble comme une solution ­– sans tabou ni biais idéologique, mais avec une focalisation claire sur le but à atteindre.

En Europe (mais aussi ailleurs dans le monde), de plus en plus de pays prévoient soit de construire leurs premières centrales nucléaires, soit d’étendre leur parc nucléaire existant. Certes, l’Allemagne a abandonné définitivement l’atome, mais en la matière, elle fait plutôt cavalier seul en comparaison internationale, tout comme la Suisse d’ailleurs. Même si de nombreux pays n’en sont encore, pour ce qui est de leurs projets nucléaires, qu’au stade de l’intention ou de la planification, leur engagement en faveur de l’atome ne peut être ignoré. Est-il vraisemblable qu’ils fassent tous fausse route? La question mérite d’être posée! Et la plupart de ces nations, malgré des situations initiales et des conditions-cadres très diverses, prévoient de développer les énergies renouvelables en parallèle (mot-clé: couple d’amoureux).

Que peut-on observer d’autre? Dans ces pays, il n’existe pas de mouvement de protestation significatif à l’encontre de la voie choisie. Bien au contraire: la quasi-totalité des enquêtes d’opinion fait état d’une augmentation du nombre de partisans de l’énergie nucléaire, mais pas au détriment des énergies renouvelables.

En Suisse, on peut se réfugier derrière la stratégie énergétique adoptée par le peuple, qui prévoit l’abandon du nucléaire et un approvisionnement en électricité à 80% à partir d’énergies renouvelables. C’est un point de vue susceptible de convaincre, puisqu’il repose sur une décision du souverain. Mais faut-il pour autant mettre immédiatement un terme au débat sur l’énergie nucléaire? Une telle approche ne trouve manifestement pas d’écho dans l’opinion publique.

Les conséquences de cette focalisation sur le choix technologique plutôt que sur un objectif énergético-climatique général sont évidentes. Bien que le peuple ait décidé, le 18 juin 2023, que la Suisse devait atteindre la neutralité climatique d’ici 2050, la Commission fédérale de l’électricité (ElCom) a proposé, à peine six semaines plus tard, que le pays construise des centrales thermiques de réserve – fonctionnant au gaz ou au pétrole – d’une puissance allant jusqu’à 1400 MW afin d’éviter les pénuries d’électricité en hiver. Et le besoin de capacités de réserve risque d’augmenter encore lorsque les centrales nucléaires de Gösgen et Leibstadt seront mises à l’arrêt définitif. D’où l’importance d’une exploitation à long terme des centrales nucléaires suisses. À l’inverse, cela signifie aussi que sans énergie nucléaire, la Suisse risque de devoir se lancer dans la production fossile d’électricité et donc vraisemblablement de dire adieu à ses objectifs climatiques, opposant ainsi une fin de non-recevoir au cri d’alarme des défenseurs du climat.

Débat sur le choix technologique: une vision troublée par les idéologies

L’interdiction de construire des centrales nucléaires en Suisse équivaut à une interdiction technologique. Elle impacte le degré de priorité accordé à la recherche en matière d’énergie nucléaire et donc son ampleur. D’où des incidences négatives sur le maintien de compétences nucléaires en Suisse, compétences dont nous avons impérativement besoin dans la perspective de l’exploitation à long terme, aujourd’hui pratiquement incontestée, des centrales nucléaires existantes. Car la question de savoir si la Suisse pourra à l’avenir se passer de l’énergie nucléaire est encore plus importante que celle de la levée de l’interdiction de construire de nouvelles installations. Relevons qu’une éventuelle levée de cette dernière n’entraînerait pas la construction immédiate de nouvelles centrales nucléaires, actuellement assez improbable pour différentes raisons. Mais elle permettrait au moins de réfléchir de manière constructive à de nouvelles technologies nucléaires ou à de nouveaux types de réacteurs et à leur éventuelle utilisation en Suisse, et de les intégrer dans des scénarios possibles. On peut donc se permettre de poser la question suivante: quelles sont les craintes des opposants aux centrales nucléaires en cas de levée de l’interdiction en question? Si, comme on le prétend, les énergies renouvelables sont supérieures à l’atome à presque tous les égards, il ne viendra à l’idée de personne de construire de nouvelles centrales nucléaires. Mais ce serait au moins une option. Et le cas échéant, l’industrie nucléaire devrait livrer un produit, et elle serait jugée sur ses promesses en matière de sûreté, de coûts et de durée de construction.

En matière d’électricité, il semble que nous nous soyons égarés dans un débat idéologique axé sur les choix technologiques plutôt que sur l’objectif à atteindre, et que la vision de cet objectif se soit brouillée en raison du durcissement des fronts. Il serait souhaitable que les deux parties en reviennent à un dialogue constructif basé sur les faits: il s’agit d’écouter, de peser le pour et le contre, et de faire preuve d’ouverture d’esprit. Peut-être que l’un ou l’autre camp se rendra alors compte que les énergies renouvelables et l’électricité issue de l’atome, disponible pratiquement en permanence, ne sont pas en concurrence. Pour avoir su combiner ces sources d’énergie, la Suisse occupe une position de pointe au niveau mondial en matière d’approvisionnement en électricité sûr, respectueux du climat et abordable. Opposer les énergies renouvelables et l’atome, c’est se tromper de combat.

Auteur

Stefan Diepenbrock, Chef de la communication, Forum nucléaire suisse

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