Réactions face à la taxonomie: deux poids deux mesures
Début juillet, le Parlement européen a suivi, avec une majorité finalement assez nette, la proposition, émise en janvier 2022, de la Commission européenne d’inclure l’énergie nucléaire et le gaz naturel dans le projet européen de taxonomie pour les investissements durables. D’où un tollé – ou plutôt un double tollé en l’espace de six mois – qui a dû s’entendre jusqu’à Bruxelles.
Comme en janvier, les réactions des prétendus défenseurs du climat et de l’environnement ne se sont pas fait attendre, tout comme celles des adversaires de l’atome. Presque par réflexe, l’accusation de «greenwashing» a fait le tour de l’opinion publique. À l’instar d’États membres comme l’Autriche ou le Luxembourg, l’organisation Greenpeace a annoncé qu’elle allait intenter une action en justice afin d’empêcher malgré tout l’entrée en vigueur de la taxonomie. Rien d’inattendu dans tout cela, même si ces critiques dénotent une certaine hypocrisie de la part des adversaires de l’atome: on peut certes avoir des réserves à l’égard de la taxonomie, mais si cette réglementation doit conduire à des investissements durables et respectueux du climat, c’est surtout l’inclusion du gaz naturel, gigantesque émetteur de gaz à effet de serre, qui devrait déclencher cette tempête d’indignation chez ceux qui disent vouloir protéger le climat. L’énergie nucléaire peut quant à elle être labellisée «verte» pour de nombreuses raisons, et elle obtient aussi un excellent score si l’on prend les critères de durabilité dans leur ensemble. L’été dernier, le Centre commun de recherche de la Commission européenne (Joint Research Center, JCR) était d’ailleurs parvenu à la conclusion que l’énergie nucléaire n’est pas plus nocive pour la santé humaine et l’environnement que n’importe quelle autre technologie de production d’énergie considérée comme durable. Une conclusion qui n’est pas vraiment nouvelle et qui a été confirmée à maintes reprises par des organismes indépendants.
Il en va tout autrement du gaz naturel, un agent énergétique fossile auquel on ne peut trouver des propriétés durables qu’avec beaucoup d’imagination. En matière de durabilité, le fossé entre le gaz naturel et l’atome est abyssal – il est regrettable que cela n’ait été dit que rarement au cours du débat sur la taxonomie. L’erreur a donc été d’associer dans ce règlement le gaz fossile, nocif pour le climat, avec l’énergie nucléaire qui, elle, est bonne pour le climat.
Sur Twitter, le journaliste scientifique autrichien Florian Aigner a parfaitement résumé le dilemme posé par le fait que les deux formes d’énergie ne pouvaient être considérées comme durables qu’ensemble dans la décision sur la taxonomie. «Je ne peux que secouer la tête lorsque des journalistes déclarent que l’inclusion de l’énergie nucléaire dans la taxonomie est un scandale et ne mentionnent la question du gaz qu’en passant. On peut être contre l’énergie nucléaire pour de bonnes raisons. C’est mon cas. Mais en matière de climat, c’est l’inclusion du gaz qui est scandaleuse, pas celle du nucléaire.»
Quant à la prise de position de Greta Thunberg, figure emblématique du mouvement climatique Fridays for Future, elle est (peut-être) surprenante, mais agréablement honnête, surtout si l’on tient compte de ce que la jeune femme ne dit pas: «Le Parlement européen vient de voter pour qualifier le gaz fossile d’énergie ‹verte›. L’hypocrisie est frappante, mais malheureusement pas surprenante». L’avez-vous remarqué? Pas la moindre critique sur l’énergie nucléaire. Et c’est très bien ainsi.
Malheureusement, ces avis nuancés ont plutôt fait figure d’exceptions, surtout dans l’opinion publique et les médias de langue allemande. Ces derniers ont replacé la taxonomie sous son éclairage désormais habituel: «Le Parlement européen qualifie les centrales nucléaires de respectueuses du climat», a titré le «Blick». Et «Der Bund» a repris le cliché à la mode: «L’énergie atomique se voit octroyer le label vert». La quasi-totalité de ces articles a été illustrée par une tour de refroidissement agrémentée de quelques photos de Tchernobyl ou d’une séquence vidéo sur Fukushima. Le gaz naturel et son impact environnemental? Relégués au rang de simples détails. Près de 90% des critiques portaient sur l’inclusion de l’énergie nucléaire, celle du gaz naturel n’étant déplorée qu’en passant. Quiconque a déjà entendu parler de cadrage médiatique, sans savoir exactement ce que cette notion recouvre, en aura trouvé là un exemple éclatant! Selon le professeur Robert Entman, titulaire de la chaire Médias et Affaires publiques à l’Université de Washington, le cadrage médiatique (en anglais «framing») consiste à «sélectionner certains aspects d’une réalité perçue et à les rendre plus saillants dans un texte, de manière à promouvoir une définition particulière d’un problème, une interprétation causale, une évaluation morale et/ou une recommandation d’action.»
Ces condamnations à l’emporte-pièce de l’inclusion de l’énergie nucléaire dans la taxonomie ont été relayées auprès du public selon le modèle bien connu: «L’énergie nucléaire est trop chère, la construction de nouvelles centrales prend trop de temps, l’uranium provient de Russie, la question des déchets n’est pas résolue, la sûreté nucléaire n’est pas maîtrisable et le respect du climat suscite lui aussi de grands points d’interrogation». Presque personne – y compris parmi les représentants des médias – n’a pris la peine d’étudier en détail la réglementation relative à la taxonomie, ni de se pencher sur la question de savoir quelles seront ses conséquences exactes sur les flux financiers internationaux. Or, les critères à remplir pour que les investissements dans de nouvelles centrales nucléaires puissent être considérés comme durables constituent un véritable défi: il faut par exemple que les installations répondent aux normes techniques les plus récentes, qu’elles obtiennent leur permis de construire d’ici 2045 et qu’un plan concret d’exploitation d’une installation de gestion des déchets de haute activité soit disponible en 2050 au plus tard.
La plupart des opposants à la décision sur la taxonomie ne se sont pas attardés sur de tels «détails», considérant que des affirmations simplistes du type «le nucléaire n’est ni vert ni durable» devaient suffire. Une attitude à même de faire naître l’impression que l’objectif du Parlement européen était non pas d’orienter davantage d’argent vers des activités durables au sein de l’UE, mais d’assurer un financement par l’impôt de toutes les nouvelles centrales nucléaires.
Dans le sillage de Greenpeace ou du WWF, ce sont surtout les défenseurs autoproclamés du climat qui ont crié à la trahison, et pas seulement à la tribune des visiteurs du Parlement. Ils ne se lassent pas de souligner que la lutte contre le changement climatique est de loin la tâche la plus importante qui incombe à la société, que cette tâche s’impose à tous les pans de cette dernière, et que pour la mener à bien, les politiques doivent suivre les recommandations des scientifiques. Mais ces revendications se tarissent très vite lorsque le nucléaire, dont la fiabilité et le caractère respectueux du climat ont été prouvés, entre en jeu. À l’évidence, les «défenseurs» du climat n’ont pas peur du changement climatique au point de lever le tabou sur l’énergie nucléaire.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, plusieurs acteurs ont annoncé leur intention d’attaquer en justice la décision sur la taxonomie. C’est le cas de l’Autriche et du Luxembourg, qui estiment que la Commission européenne a outrepassé ses compétences. Greenpeace a également annoncé une action devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et a bon espoir que cette dernière «invalidera ce greenwashing politique, car il est clairement contraire au droit européen». Quelle curieuse conception de la démocratie! En effet, ce sont les députés élus des États membres de l’UE qui ont voté sur la taxonomie. On ne peut guère faire plus démocratique (sauf en Suisse). Vouloir renverser une décision parlementaire par la voie judiciaire au motif qu’elle ne correspond pas à ce que l’on souhaite, ce n’est pas simplement faire preuve d’une mentalité de mauvais perdant. L’organisation révèle d’ailleurs assez ouvertement son aversion pour le système de la démocratie parlementaire dans le titre de son communiqué de presse: «Taxonomie: Greenpeace annonce un recours en justice après le vote en faveur de l’inclusion du gaz et du nucléaire des membres du Parlement européen». Quel bilan tirer de tout cela? Le nucléaire reste à l’évidence un sujet idéologique et chargé d’émotions – surtout dans les régions germanophones. L’exemple de la taxonomie montre clairement qu’il ne faut pas grand-chose pour relancer un débat de fond qui agite l’opinion publique depuis des décennies. Eh bien, débattons!
Auteur
Stefan Diepenbrock, responsable Communication, Forum nucléaire suisse
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