Quatre SMR pour Darlington: les grandes choses commencent petit
La centrale nucléaire de Darlington, au Canada, envisage de se doter de quatre petits réacteurs modulaires (SMR) en complément aux réacteurs Candu existants. Ces SMR devraient donner un nouvel essor au nucléaire dans la province de l’Ontario, tout en ouvrant au pays de nouvelles perspectives en matière d’exportation.

L’énergéticien canadien Ontario Power Generation (OPG) exploite depuis le début des années 1990 quatre réacteurs Candu de 878 MW chacun sur le site de Darlington, dans la province de l’Ontario, au bord du lac éponyme, dans la commune de Clarington. Au départ, l’objectif de l’entreprise était de construire de gros réacteurs de puissance, mais les choses ont tourné autrement. Rétrospective et point de situation.
Gel du projet de construction de quatre tranches nucléaires de grande puissance
C’est au début des années 2000 qu’OPG lance son projet initial d’agrandissement de la centrale nucléaire de Darlington. En 2009, l’électricien soumet à l’autorité nationale de sûreté (la Commission canadienne de sûreté nucléaire, CCSN) un rapport d’impact environnemental (appelé «énoncé des incidences environnementales», EIE) et une demande d’actualisation du permis de préparation de site (nommé «permis de préparation de l’emplacement») pour un maximum de quatre tranches nucléaires. Le Plan énergétique à long terme de l’Ontario établi en 2010 prévoit lui aussi la construction de grands réacteurs de puissance pour compléter les installations existantes.
En août 2012, la CCSN délivre à OPG un permis de préparation de site valable dix ans, qui autorise des travaux préparatoires tels que défrichage, excavation et nivellement sur le site de la future centrale. OPG obtient également un permis environnemental pour Darlington, ce qui en fait alors le seul site du pays à disposer à la fois d’un permis de préparation de site et d’un permis environnemental valides.
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((Fotolegende)) Vue aérienne de la centrale nucléaire de Darlington et de ses quatre tranches à eau lourde de type Candu (Photo: OPG)
En décembre 2013, le gouvernement de l’Ontario demande cependant à OPG de geler son projet. En effet, la situation en matière d’approvisionnement est jugée bonne et l’on s’attend à ce que la consommation d’électricité n’augmente que modérément. Le permis de préparation du site est toutefois maintenu dans la perspective d’une future extension.
En 2016, OPG décide de procéder à une modernisation complète de toutes les tranches de Darlington afin d’en prolonger la durée de vie de 30 ans. Les travaux devraient s’achever en 2026.
Naissance d’un nouveau projet d’extension de Darlington basé sur des SMR
À partir de 2018, OPG commence à s’intéresser à différentes technologies de SMR. En juin 2020, l’entreprise soumet à la CCSN une demande de prolongation du permis de préparation de site afin d’en éviter l’expiration. Cette demande sera approuvée en octobre 2021. En novembre 2020, l’énergéticien présente un nouveau projet de construction. Dans un premier temps, il ne prévoit de construire qu’un seul SMR. «OPG prépare la voie pour le développement et le déploiement de la prochaine génération de centrales nucléaires au Canada», déclare alors Ken Hartwick, président et CEO d’OPG.
L’entreprise défend son projet de SMR en se fondant notamment sur une étude de 2021 du Conference Board of Canada, un organisme de recherche indépendant à but non lucratif, selon laquelle «la construction et l’exploitation pendant 60 ans d’une seule installation dans l’Ontario auront un impact économique très positif pour la province». Cet effet favorable s’exercerait à la fois sur le produit intérieur brut du pays, sur les recettes fiscales de la province de l’Ontario, et sur l’emploi (création d’emplois garantis sur une période de 60 ans). Des représentants du gouvernement soulignent par ailleurs qu’il existe déjà une chaîne d’approvisionnement pour les installations nucléaires en Ontario. Les travaux de modernisation des réacteurs Candu l’ont renforcée, et elle pourrait s’avérer fort utile pour les projets de SMR tout en bénéficiant d’éventuelles exportations.
Parmi les autres facteurs plaidant alors en faveur de la construction d’un SMR figurent notamment des prévisions nouvellement établies annonçant une hausse des besoins en énergie. Un rapport publié en 2022 par l’Independent Electricity System Operator (IESO) de l’Ontario indique que la province pourrait devoir plus que doubler ses capacités de production d’électricité d’ici à 2050, c’est-à-dire les porter de 42 000 MWe à 88 000 MWe. Ce rapport recommande que l’Ontario commence à planifier, choisir le site et évaluer l’impact environnemental d’installations de production d’électricité à longue durée de vie, notamment nucléaires.
Le fait que les centrales nucléaires réduisent les besoins en combustibles fossiles, participant ainsi à la protection du climat, joue également en faveur du projet. Fin novembre 2020, OPG s’engage à atteindre le zéro émission nette à l’horizon 2040.
Le BWRX-300 de GE Hitachi Nuclear Energy remporte le marché
Courant 2020, OPG soumet «certaines technologies de SMR» à une procédure d’examen approfondie. Sur cette base, l’énergéticien établit ensuite «une liste de trois développeurs disposant de technologies qui nous permettraient d’atteindre notre objectif d’avoir un SMR disponible commercialement d’ici à 2029 tout en remplissant nos obligations en matière de compatibilité environnementale». Les trois développeurs en question sont GE Hitachi Nuclear Energy (GEH), Terrestrial Energy et X-energy. Selon OPG, chaque technologie est évaluée en fonction d’un certain nombre de critères clés, tels que sûreté, maturité technologique, possibilité d’être homologué pour le site de Darlington, impact environnemental, potentiel de développement économique et coût.
En décembre 2021, OPG annonce avoir choisi le SMR à eau bouillante BWRX-300 de GEH (pour en savoir plus sur ce SMR, voir l’encadré). L’entreprise se déclare convaincue que «la technologie de réacteur BWRX-300 de GEH est la mieux adaptée pour fournir une nouvelle source d’énergie nucléaire sans carbone répondant aux besoins d’énergie et d’électricité prévisibles de l’Ontario, et pour soutenir le potentiel de déploiement des SMR dans d’autres États canadiens désireux de réduire leur consommation de combustibles fossiles».

Financement des travaux préparatoires par la Banque de l’infrastructure du Canada
En octobre 2022, la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) conclut avec OPG une convention lui assurant une enveloppe de 970 millions de dollars canadiens (CHF 609 mio.) pour le premier SMR du pays. Ce montant est destiné à financer tous les travaux préalables à la construction de la partie nucléaire de l’installation, y compris la planification du projet, la préparation du site, l’achat des composants à long délai de livraison, les infrastructures liées aux services industriels, la mise en œuvre d’une stratégie numérique et les coûts de gestion de projet.
Toujours en octobre 2022, OPG dépose auprès de la CCSN une demande de permis de construire pour le BWRX-300 en projet à Darlington. Cette demande est en cours d’examen.

Réduire les coûts en construisant quatre SMR au lieu d’un
Lors d’une conférence de presse tenue en juillet 2023, Todd Smith, l’ancien ministre de l’Énergie de l’Ontario, annonce que la province collabore avec OPG en vue de construire trois SMR de plus, soit un total de quatre, à Darlington. Il précise que cette collaboration porte sur le début de la planification et sur le dépôt de la demande de permis de construire. «Cette approche basée sur la construction en série de plusieurs SMR permettra de réduire les coûts du projet en mutualisant certaines infrastructures, par exemple l’alimentation en eau de refroidissement», écrit OPG sur son site Internet. De plus, du fait du caractère modulaire des réacteurs, une fois que le premier aura été construit, les suivants seront relativement faciles à reproduire. «La construction des SMR sera échelonnée dans le temps, afin de garantir que les enseignements tirés de la construction du premier puissent être utilisés pour réaliser des économies de coûts et de temps sur les suivants. Des autorisations supplémentaires seront nécessaires pour la construction et l’exploitation des tranches 2 à 4.»
En 2023, le Conference Board of Canada publie une deuxième étude, intitulée «Ontario Power Generation – Economic Impact Analysis of Small Modular Reactors (SMRs)», qui porte cette fois sur les avantages économiques de l’extension du projet à quatre SMR. OPG y fait référence en octobre de la même année, relevant que la construction des quatre SMR de Darlington aura «un impact positif considérable sur l’économie de l’Ontario et du Canada». Toujours selon cette étude, la construction d’une série de quatre SMR rapportera quelque 15,3 milliards de dollars canadiens (CHF 9,6 mia.) au PIB du pays, dont 13,7 milliards (CHF 8,6 mia.) au PIB de l’Ontario.» La construction de ces quatre SMR entraînera la création et le maintien au cours des 65 prochaines années de quelque 2000 emplois. Pendant cette période de 65 ans, le projet générera en outre des recettes fiscales de 4,9 milliards de dollars canadiens (CHF 3,1 mia.) aux échelons communal, provincial et fédéral. «Déjà robuste, la chaîne d’approvisionnement nucléaire présente en Ontario connaîtra une croissance considérable, et s’établira comme un fournisseur de technologie propre à l’échelle mondiale», relève encore OPG.
Le 22 avril 2024, la CCSN annonce que l’étude d’impact environnemental relative à la centrale nucléaire de Darlington reste valable pour le réacteur BWRX-300. L’octroi du permis de construire la partie nucléaire de l’installation prendra toutefois encore un certain temps. La CCSN entend mener une procédure de consultation en deux étapes (avec des audiences publiques en octobre 2024 et janvier 2025), de manière à offrir aux nations et communautés autochtones ainsi qu’au grand public la possibilité de s’exprimer sur la demande déposée par OPG et de communiquer des connaissances spécialisées et des informations susceptibles d’être utiles.
OPG s’attend à obtenir le permis de construire de la première tranche en 2025. Les travaux de construction de la partie nucléaire de l’installation pourront débuter tout de suite après, et devraient se terminer au plus tard à fin 2028. La demande d’autorisation d’exploiter sera vraisemblablement déposée en 2028 également, et elle fera l’objet d’une consultation publique. Le premier SMR devrait être mis en service à fin 2029. Selon le calendrier actuel, les trois autres SMR devraient l’être d’ici le milieu des années 2030.

Calendrier respecté
Les premiers travaux préparatoires non nucléaires, dits de la phase 1, débutent à Darlington dès septembre 2022. Ils comprennent le nivellement du terrain, la construction de routes temporaires, l’installation du chantier, la construction de dispositifs de protection contre les inondations, et les infrastructures liées aux services industriels.
Le 11 mars 2024, OPG annonce «que le projet de centrale nucléaire de Darlington a franchi une nouvelle étape importante, et qu’il est dans les temps et dans les limites du budget», précisant que la première phase de préparation du chantier a été achevée en février. La phase 2, à savoir les principaux travaux préparatoires non nucléaires, est confiée au partenaire de construction Aecon. Ceux-ci doivent être effectués conformément au permis de préparation du site et dans le courant de l’année. Selon OPG, ils comprennent la réalisation de la paroi de pieux forés nécessaire aux travaux d’excavation requis pour le bâtiment réacteur de la tranche 1 ainsi que les travaux d’excavation proprement dits. Par ailleurs, des travaux de défrichage, de préparation et de nivellement doivent être effectués pour les tranches 2, 3 et 4. Le mur de soutènement du puits de départ du tunnelier qui creusera le tunnel pour l’amenée de l’eau de refroidissement depuis le lac Ontario est aujourd’hui achevé. Les premiers travaux de construction des halles de fabrication et de pré-assemblage ont également commencé. «Dans la halle de fabrication sur site, les matériaux livrés seront transformés en composants finis et prêts à être installés. Les composants finis seront ensuite transférés de la halle de fabrication à la halle de pré-assemblage, où ils seront assemblés et intégrés dans des systèmes plus grands», écrit OPG.
Le nouveau ministre de l’Énergie s’investit en faveur du nucléaire
Stephen Lecce, le nouveau ministre de l’Énergie et de l’Électrification de la province de l’Ontario, a visité le site de Darlington en juin 2024. «Le fait est que nous avons besoin de plus d’énergie. La tâche du gouvernement est de s’appuyer sur le plan déjà ambitieux de l’Ontario pour accroître la quantité d’énergie dont nous disposons en faisant appel à toutes les technologies de production, qu’il s’agisse de nucléaire, de gaz naturel ou d’énergies renouvelables. Il nous faut suivre une approche globale pour être le mieux préparés possible pour l’avenir», a déclaré M. Lecce. «La priorité de notre ministère est de développer une énergie abordable, fiable et bien entendu propre pour la population de l’Ontario. Ce que nous ne ferons pas, et je ne le soulignerai jamais assez, [...] c’est de nous engager dans une voie idéologique qui rejetterait certaines formes d’énergie alors que nous avons besoin de chacune d’entre elles pour stimuler notre économie [...]».
À propos du BWRX-300
Le BWRX-300 de GE Hitachi Nuclear Energy (GEH) est un petit réacteur modulaire à eau bouillante d’une puissance électrique de 300 MW. Il est basé sur l’Economic Simplified Boiling Water Reactor (ESBWR) certifié par la Nuclear Regulatory Commission (NRC) américaine, mais possède une conception fortement simplifiée. Le BWRX-300 fait appel à des composants qui ont fait leurs preuves dans d’autres réacteurs, et il mise sur une circulation naturelle de l’eau de refroidissement reposant sur des systèmes de sûreté passifs. Il est conçu pour une durée d’exploitation de 60 ans. Selon OPG, un SMR produit suffisamment d’énergie propre pour compenser les émissions annuelles de gaz à effet de serre de 160 000 voitures. Et un seul SMR de 300 MW peut éviter entre 0,3 et 2 mégatonnes d’émissions de CO2 par an, selon le type d’électricité qu’il remplace. Les quatre SMR de Darlington fourniront de l’électricité respectueuse du climat à 1,2 million de ménages.
Le BWRX-300 suscite un grand intérêt sur le plan international, et GEH étudie la possibilité de le déployer non seulement à Darlington, mais aussi dans des pays comme l’Estonie, la Pologne, la Grande-Bretagne et la République tchèque. Dans plusieurs pays, le réacteur a déjà franchi plusieurs étapes de pré-homologation (vendor design review), procédure qui vise à vérifier le respect de la règlementation. Au Canada, la pré-homologation est achevée, ce qui devrait accélérer la procédure d’homologation proprement dite.
Auteur
B.G./D.B. d’après OPG et diverses autres sources