Les systèmes de réacteurs innovants: défis et opportunités
Les réacteurs de génération IV promettent une nouvelle ère technologique caractérisée par une plus grande sûreté des installations, une utilisation plus efficace des ressources et la réduction des déchets radioactifs. Grâce à leur conception innovante et à leurs systèmes de sûreté passifs, ils pourraient permettre de surmonter les défis posés à l’énergie nucléaire de demain. Ces réacteurs offrent en outre des possibilités d’utilisation flexibles, allant de la production d’électricité à celle de chaleur industrielle, et devraient pouvoir être mis sur le marché à partir du début des années 2030. Natalia Amosova d’Apollo+ fait le point sur cette nouvelle technologie.
Cela fait des décennies que l’on discute, étudie et développe des concepts de réacteurs innovants au niveau international. Certains d’entre eux entrent dans la catégorie des «réacteurs de génération IV». Qu’ont-ils de particulier?
Les réacteurs de génération IV représentent une avancée majeure en matière de technologie nucléaire. Ils se caractérisent par une conception intrinsèquement sûre basée sur des systèmes de sûreté passifs, par un taux d’utilisation du combustible nettement plus élevé que les réacteurs actuels et par un cycle du combustible fermé. Ils sont conçus pour réduire considérablement la quantité de déchets radioactifs et disposent de propriétés améliorées pour empêcher la prolifération des matières fissiles. De plus, leur température de fonctionnement plus élevée que celle des systèmes d’aujourd’hui permet un meilleur rendement ainsi que la production de chaleur industrielle.
Dans le cadre du «forum international Génération IV» (Generation IV International Forum, GIF), six concepts de réacteurs font l’objet d’intenses activités de recherche et développement. Il s’agit notamment du réacteur rapide refroidi au sodium, du réacteur à très haute température et du réacteur à sels fondus. Ces systèmes font appel à différents caloporteurs, comme le sodium, le plomb ou l’hélium, pour assurer leur refroidissement, et ils sont conçus pour obtenir une efficacité économique maximale. Grâce à une construction standardisée et à une conception évolutive permettant de passer d’une petite à une grande installation, les durées de construction devraient être raccourcies et les coûts d’exploitation et de maintenance considérablement réduits. L’objectif est de pouvoir mettre sur le marché les premiers réacteurs de génération IV entre 2030 et 2040.
Il existe par ailleurs des systèmes de réacteurs qui, comme celui de Transmutex, sont également considérés comme innovants, mais n’appartiennent pas à la génération IV. Qu’entend-on dans ce cas par «innovant», par rapport à la génération IV?
Dans le cas des systèmes de réacteur comme celui de Transmutex, le terme d’innovant désigne des approches technologiques qui se distinguent des concepts classiques de la génération IV par plusieurs aspects. Tout d’abord, ces systèmes poursuivent souvent des objectifs d’optimisation spécifiques. Il peut s’agir par exemple de la transmutation de déchets radioactifs à l’aide d’accélérateurs ou du développement de systèmes particulièrement compacts ou modulaires. De plus, à la différence des réacteurs de génération IV, qui sont conçus comme des systèmes de centrale électrique complets destinés à l’approvisionnement en énergie, les systèmes de réacteurs innovants peuvent constituer des solutions dédiées à des applications particulières. Enfin, alors que les réacteurs de génération IV doivent respecter un cadre de développement international standardisé et un certain nombre de critères prédéfinis, les concepts de réacteurs innovants peuvent être conçus de manière plus flexible et explorer de nouvelles pistes technologiques. Ces systèmes peuvent certes poursuivre des objectifs similaires à ceux des réacteurs de la génération IV, tels que l’amélioration de la sûreté ou l’utilisation plus efficace des ressources, mais ils misent sur des solutions techniques alternatives.
Quels sont les avantages potentiels de tous ces nouveaux systèmes de réacteurs par rapport à la génération actuelle de centrales nucléaires?
Par rapport aux centrales nucléaires actuelles, les systèmes de réacteurs de la génération IV offrent des avantages décisifs en termes de sûreté, de rentabilité et de durabilité. La sûreté passive est nettement améliorée par des caractéristiques inhérentes à la conception de ces réacteurs, de sorte que même en cas de perte totale de l’alimentation électrique, aucune fusion du cœur n’est possible. L’utilisation du combustible est 50 à 100 fois plus efficace, ce qui réduit drastiquement la consommation d’uranium et augmente la sécurité d’approvisionnement. De plus, ces systèmes permettent une réduction significative des déchets de haute activité, tant en termes de quantité que de durée de stockage nécessaire.
Les températures de fonctionnement élevées propres aux systèmes de génération IV permettent non seulement un meilleur rendement dans la production d’électricité, mais ouvrent également la voie à de nouvelles applications telles que la production de chaleur industrielle ou d’hydrogène. En outre, grâce à leur capacité à utiliser les déchets nucléaires existants comme combustible et à les transformer en isotopes à vie plus courte, ces réacteurs contribuent à résoudre le problème des déchets.
Et quels sont leurs inconvénients potentiels?
L’un des aspects essentiels est la complexité technique de ces systèmes, qui se traduit par exemple, pour les réacteurs rapides, par les exigences spécifiques posées aux matériaux et composants, qui doivent résister à des températures élevées et à un rayonnement neutronique intense. De même, l’utilisation de nouveaux caloporteurs tels que le plomb ou les sels fondus requiert des solutions innovantes en matière de protection contre la corrosion et de maintenance. Le développement et la qualification de ces technologies, ainsi que la mise en place des chaînes d’approvisionnement nécessaires, sont des processus de longue haleine qui impliquent des coûts considérables.
Un autre inconvénient potentiel réside dans le manque d’expérience opérationnelle à l’échelle commerciale pour bon nombre de ces concepts. D’où des incertitudes dans les prévisions de coûts et la nécessité de réaliser des projets de démonstration couvrant tous les aspects pertinents avant une mise sur le marché à grande échelle. Les procédures d’autorisation de ces systèmes d’un genre nouveau représentent également un défi, car les autorités de surveillance doivent élaborer de nouveaux critères d’évaluation et de nouvelles méthodes d’analyse.
Il est reproché à ces systèmes de réacteurs d’arriver trop tard pour l’approvisionnement énergétique futur. Ils seraient encore loin de pouvoir être mis sur le marché à grande échelle, trop chers et présenteraient des risques en termes de sûreté. Que répondez-vous à ces critiques?
L’affirmation selon laquelle ces systèmes de réacteurs arrivent «trop tard» pour l’approvisionnement énergétique futur fait bien peu de cas de l’objectif premier des sources d’énergie durables et stables, à savoir la sécurité d’approvisionnement à long terme. De plus, il faut bien voir que les besoins en énergie ne cessent de croître en raison de différents facteurs: l’électrification, l’IA et les centres de données qu’elle requiert, de même que la transition générale vers une économie durable. Les capacités de charge de base fiables et pauvres en carbone continueront donc de jouer un rôle important à l’avenir, y compris pour la chaleur industrielle. Dans ce contexte, les développeurs des systèmes de génération IV appliquent une approche systématique en échelonnant des projets de démonstration de différents ordres de grandeur afin de valider et d’optimiser progressivement leurs technologies. Cette approche méthodique prend certes beaucoup de temps, mais elle est essentielle à l’introduction sûre et fiable de ces technologies innovantes.
Quant à la critique concernant les coûts, elle apparaît prématurée étant donné que la plupart des systèmes sont encore en phase de développement et de démonstration, et qu’on ne dispose pour l’heure pas de données robustes issues de l’exploitation commerciale. La construction modulaire et la production en série recèlent un potentiel d’économie considérable. En ce qui concerne la sûreté, les développeurs misent sur un processus de validation en plusieurs étapes, allant de petites installations expérimentales à des prototypes commerciaux en passant par des réacteurs de démonstration. Cette approche permet de tester et d’optimiser en profondeur les systèmes de sûreté et les procédures d’exploitation avant de passer à la construction d’installations commerciales. Les caractéristiques de sûreté intrinsèques et passives de ces réacteurs sont ainsi testées et validées de manière intensive à chaque phase de développement. L’introduction progressive de ces technologies permet en outre d’acquérir de l’expérience opérationnelle et de faire évoluer les systèmes en continu.
Quels types de réacteurs jugez-vous prometteurs en termes de maturité technologique et de maturité commerciale, et à quel horizon pensez-vous qu’ils pourraient être mis sur le marché?
Les réacteurs à lit de boulets basés sur du combustible Triso offrent des perspectives prometteuses de mise sur le marché à brève échéance. Ce type de réacteurs, qui comprend par exemple le Xe-100 refroidi au gaz de X-Energy ou le KP-FHR refroidi au sel de Kairos Power, combine des caractéristiques de sûreté avancées avec des avantages pratiques pour une utilisation commerciale. Le grand intérêt manifesté par des entreprises technologiques de premier plan – Amazon a récemment investi dans X-Energy et Google a conclu un accord de développement avec Kairos Power – souligne le potentiel économique de cette technologie. La sûreté intrinsèque du combustible Triso, associée à la flexibilité de la conception modulaire, rend ces réacteurs particulièrement attrayants pour une mise sur le marché à l’horizon 2029–2032.
La maturité technologique de ces systèmes est démontrée de manière impressionnante par l’exploitation réussie du HTR-PM chinois, qui est raccordé au réseau depuis décembre 2021 et qui constitue la première application commerciale de la technologie du lit de boulets Triso. Ce réacteur a confirmé la sûreté intrinsèque du concept lors d’essais pratiques qui ont prouvé, pour la première fois au monde, qu’un réacteur commercial de cette taille peut refroidir naturellement et en toute sécurité sans système de refroidissement d’urgence.
Natalia Amosova a étudié le génie mécanique en Allemagne. Elle est membre du Comité de la Société suisse des ingénieurs nucléaires (SOSIN), conseillère indépendante de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et participe à de nombreux groupes de travail nationaux et internationaux. Elle est en outre une experte en radon reconnue par l’Office fédéral de la santé publique.
Auteur
Natalia Amosova, Principal Consultant bei Apollo+ GmbH