La perception du nucléaire en Russie et en Pologne
Troisième partie de notre série d’interviews sur le regard porté sur l’énergie nucléaire à travers le monde
Comment l’énergie nucléaire est-elle perçue dans les autres pays, quelle est l’opinion des populations à son sujet, et en quoi cette vision est-elle différente de celle de la population suisse? Nous avons posé ces questions à des collaborateurs et collaboratrices provenant de centrales nucléaires à l’étranger mais aussi à des experts et expertes de la branche nucléaire suisse. Dans la troisième partie de notre série d’interviews, nous nous sommes entretenus avec Maria Ludwig, venue de Russie, et Damian Gbiorczyk, de Pologne. Tous deux travaillent à la centrale nucléaire de Gösgen (KKG).
Maria Ludwig, ingénieure civile, centrale nucléaire de Gösgen – division Technique de construction, originaire de Russie
À l’issue de ma scolarité obligatoire, j’ai étudié le génie civil dans le domaine des installations nucléaires à l’Université de recherche en génie civil de Moscou. Plusieurs raisons ont contribué à ce choix, mais en particulier le développement positif de l’énergie nucléaire dans mon pays d’origine, et mon intérêt en général pour l’énergie nucléaire. Je suis arrivée en Suisse en 2010. J’ai tout d’abord travaillé dans différents bureaux d’ingénierie avant de rejoindre la centrale nucléaire de Gösgen, en 2014, en tant qu’ingénieure nucléaire. J’étais donc déjà familiarisée au thème de l’énergie nucléaire avant mon arrivée à la KKG.
Damian Gbiorczyk, ingénieur sécurité TIC, centrale nucléaire de Gösgen, originaire de Pologne
Après 15 années passées en Allemagne, j’ai rejoint la Suisse il y a deux ans, en partie à cause des décisions du gouvernement allemand d’arrêter des centrales nucléaires tout à fait sûres et de construire un terminal de GNL pour la fracturation du gaz, ce qui, selon moi, est en contradiction avec une politique climatique pertinente. Je travaille en tant qu’ingénieur sécurité TIC à la centrale nucléaire de Gösgen. La cybersécurité est très importante pour moi car elle est essentielle pour garantir l’intégrité d’exploitation de nos installations et pour lutter contre les cybermenaces.
Ce travail me permet de continuer à développer mes connaissances et d’apporter une contribution importante à la sécurité et à l’efficacité de l’approvisionnement énergétique, ce dont je suis très fier.
«En Pologne, la population a une opinion positive concernant l’énergie nucléaire»
Vous venez respectivement de Russie et de Pologne. Quel est le statut de l’énergie nucléaire là-bas et, d’après vous, comment celle-ci est-elle perçue par la population?
Maria Ludwig: Historiquement, l’énergie nucléaire a toujours revêtu une grande importance, et aujourd’hui encore, elle fait partie des branches leaders du développement économique et technologique russe. Les projets internationaux de l’autorité publique Rosatom, la seule entreprise au monde à proposer des solutions sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement de l’énergie nucléaire, participent à la renommée de la branche auprès de la population.
Damian Gbiorczyk: En Pologne, la population est favorable à l’énergie nucléaire, mais les avancées ont été freinées par un gouvernement souvent inefficace, et corrompu. L’énergie nucléaire est en projet depuis plus de 50 ans, mais à l’heure actuelle, le pays ne compte qu’un petit réacteur de recherche. Des projets de construction d’une centrale nucléaire ont été lancés, mais l’achèvement d’ici à 2035 reste incertain.
«Les filières en lien avec la technique nucléaire restent très populaires en Russie»
Qu’est-ce qui vous fait penser que l’énergie nucléaire bénéficie de cette image dans votre pays d’origine? De quelle manière l’industrie, les entreprises et le gouvernement informent-ils sur l’énergie nucléaire et en quoi est-ce que cela est différent de ce qui est pratiqué en Suisse?
Maria Ludwig:
L’entreprise Rosatom informe la population sur l’énergie nucléaire grâce à des réunions d’information, des expositions, des foires et des campagnes publicitaires, qui contribuent par ailleurs à l’image positive de la branche. L’ampleur de ces mesures constitue une différence importante par rapport à la Suisse. En Russie, l’énergie nucléaire offre de nombreuses possibilités également aux jeunes diplômés dans les domaines de la recherche et du développement des technologies. Les filières en lien avec la technique nucléaire restent très populaires.
Au niveau local, les centrales nucléaires sont des employeurs majeurs, et elles participent au développement économique et sociétal général de l’ensemble des régions concernées. Et cela est très estimé par la population.
Damian Gbiorczyk: La politique d’information sur l’énergie nucléaire en Pologne n’est pas très marquée, mais c’est aussi le cas pour d’autres sujets. En Suisse, en revanche, on accorde une grande importance aux relations publiques. Les visites organisées pour les classes scolaires et la communication transparente sur les installations et leurs mesures de sécurité, en particulier, renforcent la confiance dans la technologie.
Auteur
S.D. / C.B.