«Il est temps de cesser de s’opposer au nucléaire et de vivre avec son temps»

Dans cette interview, la militante écologiste Ia Aanstoot nous explique son cheminement de l’activisme environnemental traditionnel au soutien à l’énergie nucléaire. Elle nous raconte son enfance au Kenya et ses expériences personnelles et pourquoi elle considère l’énergie nucléaire comme la solution essentielle à la lutte contre la pauvreté énergétique et les changements climatiques. Elle nous livre ses impressions sur le mouvement Fridays for Future et aborde les défis et les incompréhensions associés à l’énergie nucléaire, ainsi que sa campagne ambitieuse «Dear Greenpeace». Enfin, Ia Aanstoot nous présente ses objectifs à long terme et sa vision d’un avenir pauvre en carbone.

9 juil. 2024
Ia Aanstoot et d’autres militants écologistes
Ia Aanstoot et d’autres militants écologistes s’engagent en faveur du nucléaire à travers la campagne «Dear Greenpeace».
Source: Roel Millenaar

Qu’est-ce qui vous a incitée à vous engager pour l’énergie nucléaire?
J’ai passé une grande partie de mon enfance au Kenya et là-bas, j’ai pu constater concrètement que la pauvre énergétique était une réalité effroyable pour de nombreuses personnes. Je suis née prématurée, et au Kenya, je n’aurais pas survécu. Sachant cela, il m’était impossible déjà enfant d’accepter le discours de Fridays for Future qui soutient un retour à la nature et une réduction de la consommation d’électricité. La réponse évidente au pessimisme en matière de décroissanceprôné par le mouvement a été le soutien au nucléaire. Cette solution m’est apparue comme un miracle. Alors oui, elle s’accompagne de problématiques, mais elle en résout beaucoup d’autres.

En quoi est-ce que le temps que vous avez passé avec Fridays for Future a-t-il façonné votre regard sur la politique énergétique mondiale et les changements climatiques?
Je combats toujours le pessimisme fondamental que Fridays for Future m’a inoculé. J’ai en permanence le sentiment que ce que nous faisons n’est pas suffisant. Rien ne semble jamais assez bien, et bien sûr, les changements d’aujourd’hui sont loin de suffire, mais si nous ne fêtons pas les succès comment les politiques et l’industrie peuvent-ils penser que mener une politique en faveur du climat est la voie à suivre? Fridays for Future a placé la crise climatique à l’ordre du jour de la politique mondiale et je suis heureuse d’avoir pu apporter ma pierre à l’édifice. Mais il y avait aussi de nombreux problèmes, surtout dans mon groupe local qui était presque exclusivement dirigé par des personnes de plus de 60 ans. Lorsque j’ai commencé à m’engager publiquement pour le nucléaire, j’ai eu le sentiment de ne plus être la bienvenue, et au final, c’est leur rejet de mes opinions qui m’a encouragée à devenir militante pro-nucléaire.

Qu’est-ce qui vous a incitée à lancer la campagne «Dear Greenpeace»?
La campagne Dear-Greenpeace s’inscrit en réaction à l’offensive légale massive à laquelle l’énergie nucléaire fait face au sein de l’UE. La procédure judiciaire engagée par Greenpeace a pour objectif de retirer l’énergie nucléaire de la taxonomie verte. Or si cela arrive, ce sera un coup dur à la fois pour la perception de la population à l’égard de l’énergie nucléaire et pour les possibilités de financement tant dans de nouvelles centrales nucléaires que dans les centrales existantes. C’est dans ce contexte que j’ai lancé la campagne «Dear Greenpeace» aux côtés de WePlanet. Je demande à Greenpeace et, avec elle, à l’ensemble du mouvement écologiste de longue date de renoncer à leur opposition à l’énergie nucléaire et de vivre avec leur temps. Il s’agit d’une campagne fondamentalement optimiste, je pense que les gens peuvent changer, peut-être pas tout de suite le cœur de l’équipe dirigeante de Greenpeace, mais je veux faire changer d’avis les écologistes et les militants de manière générale. Beaucoup d’entre eux n’ont tout simplement jamais entendu le discours selon lequel l’énergie nucléaire peut être une force.

De quelle manière les organisations environnementales telles que Greenpeace ont-elles réagi à votre campagne?
Nous avons reçu peu de réactions de la part des organisations traditionnelles mais les quelques réactions que nous avons reçues étaient négatives. Cela prouve que cette mobilisation de masse de la part des partisans du nucléaire était absolument nécessaire, et qu’il faudra bien plus encore. Une pétition signée par 10’000 personnes est un bon début, mais nous pouvons obtenir plus, alors: si ce n’est pas déjà fait, signez-la, et transmettez-la à vos amis et à votre famille. Il est temps de montrer aux mouvements écologistes traditionnels que leur temps est révolu.

Comment percevez-vous le rôle de l’énergie nucléaire par rapport à celui d’autres sources renouvelables?
Je pense que combinée aux énergies renouvelables telles que l’éolien et le solaire, l’énergie nucléaire jouera un rôle important dans le mix énergétique du futur. La combinaison différera bien sûr d’un pays à l’autre, selon les capacités de chacun en termes de force hydraulique, de géothermie, d’éolien et de solaire. Mais ce qui est important c’est que l’énergie nucléaire puisse fonctionner avec ces sources. Si la capacité maximale de l’hydraulique et de la géothermie est atteinte et que cela ne suffit pas, ou si la part des sources variables devient trop élevée, alors l’énergie nucléaire peut intervenir pour nous aider à relever le défi de la transition fortement énergivore qui se dresse devant nous. Dans mon pays d’origine, la Suède, qui fait partie des pays les plus fortement électrifiés au monde, la production d’électricité devra quasiment être doublée pour que le pays puisse s’affranchir des combustibles fossiles. Or cela est impossible sans l’énergie nucléaire.

Est-ce que l’énergie nucléaire offre des avantages en termes de consommation des ressources et, par-là, pour la protection de la nature, de l’environnement et du climat?
L’énergie nucléaire présente clairement des avantages: elle possède un besoin de surface réduit, ce qui est important car de grands territoires dans le monde doivent être reboisés afin de rendre possible la production d’émissions négatives dont nous avons cruellement besoin à la fois pour industrialiser les pays du Sud et pour stabiliser notre climat. L’uranium est un matériau à haute densité énergétique et une fois construite, une centrale nucléaire peut fonctionner de nombreuses décennies.

À votre avis, quelles sont les principales idées reçues de la population concernant l’énergie nucléaire?
Le préjugé le plus répandu concerne les déchets: non, les déchets nucléaires ne sont pas particulièrement dangereux, ils peuvent être stockés facilement, et des solutions de réutilisation sont à l’étude. Mais je crois que la plus grande incompréhension concerne la sécurité. Il est absurde qu’un secteur dont les performances en matière de sécurité sont absolument exemplaires soit constamment accusé d’être le plus dangereux qui soit.

Selon vous, quelles mesures concrètes les responsables politiques devraient-ils prendre pour favoriser l’acceptation et le développement de l’énergie nucléaire?
Je pense qu’il faut avant tout qu’il y ait un consensus au sein du spectre politique. L’énergie nucléaire représente un investissement à long terme et à grande échelle, et il est évident que personne ne réalisera cet investissement s’il y a un risque qu’elle devienne illégale après les prochaines élections. Par ailleurs, il est temps de réglementer les autres sources d’électricité de la même manière que l’énergie nucléaire. En occident, nous avons des ressources, de l’argent et des capacités pour faire en sorte que toutes les sources d’électricité présentent un niveau de sécurité irréprochable. Il n’est pas déraisonnable d’exiger d’une centrale à charbon qu’elle contrôle ses émissions, d’une centrale hydraulique qu’elle crée un fonds de restauration de l’état naturel en vue de sa fin de vie, d’un parc solaire qu’il gère le stockage et le recyclage des matériaux qu’il contient, et ainsi de suite. Tout cela fait aussi partie de la transition vers un système durable tant pour l’homme que pour la planète. La production d’électricité comporte des risques et les gouvernements actuels doivent lui imposer des standards certes élevés et exigeants, mais justes. Si une centrale nucléaire ne peut pas libérer un rayonnement supérieur à un certain niveau, pourquoi une centrale à charbon le pourrait-elle? Si une centrale nucléaire doit payer pour ses déchets radioactifs au-delà d’un certain niveau, alors un parc éolien ne le devrait-il pas, lui aussi? Si nous élevons les normes de sécurité des autres sources d’électricité à un niveau équivalent, cela montrera à l’industrie et la population que l’énergie nucléaire a fonctionné de manière irréprochable jusqu’à présent et qu’elle continuera à le faire dans un avenir prévisible.

Comment votre entourage réagit-il à votre engagement pour l’énergie nucléaire? Est-ce qu’il vous soutient, ou au contraire le désapprouve?
C’est très variable: la plupart des gens soutiennent mon engagement global pour le climat, même s’ils ne sont peut-être pas d’accord avec l’énergie nucléaire, mais au final, les personnes avec lesquels je suis en contact sont majoritairement favorables au nucléaire et le soutien ne cesse de croître dans un contexte de crise climatique plus forte que jamais.

Quel rôle joueront selon vous les combustibles fossiles dans l’approvisionnement énergétique du futur? Est-ce qu’un approvisionnement entièrement débarrassé des combustibles fossiles vous semble possible?
Dans les pays du Nord, nous serons en mesure de nous affranchir des combustibles fossiles au cours des prochaines décennies, et nous devrons impérativement le faire. Dans les pays du Sud, cela prendre plus de temps. Ces pays ont le droit de s’industrialiser et de construire un État-providence moderne qui dépende autant de l’électricité que le nôtre, que nous ne remettons d’ailleurs pas en question. Je pense qu’au final, un approvisionnement énergétique quasiment exempt de sources fossiles est possible, que cela nécessitera des changements, un abandon des transports individuels au profit de transports publics électrifiés, une transition de l’industrie à grande échelle, et avant tout le développement massif d’une énergie propre dans le monde entier.

Dans les pays du Nord, nous avons 30 ans pour réaliser la transition vers une société décarbonée, ce qui implique que nous abandonnions les combustibles fossiles. Dans les pays du Sud, la situation est plus difficile, mais ce qui est certain, c’est que le Nord ne pourra pas continuer à épuiser le budget carbone et les ressources limitées en combustibles fossiles dont il est tant dépendant pour son développement.

Quels sont vos objectifs à long terme concernant votre travail et votre engagement dans le domaine de la politique climatique?
Mon objectif à long terme est de faire en sorte que le monde réussisse à surmonter l’importante crise qui est devant nous et parvienne à unir ses forces pour endiguer les changements climatiques en plaçant toujours le bien-être des populations au cœur des priorités. Je voudrais vivre dans un monde dans lequel aucun enfant ne succomberait d’une maladie qui aurait pu être évitée facilement, aucune femme ne mourrait de la pollution de l’air dans sa propre maison, aucun individu ne décéderait en effectuant un travail dangereux qui aurait pu être automatisé. Dans l’idéal, je voudrais vivre dans un monde dans lequel chaque enfant posséderait son propre ordinateur et l’électricité nécessaire pour le faire fonctionner, chaque ménage aurait une machine à laver et un lave-vaisselle, chaque poste de travail serait sécurisé et automatisé, et chaque individu pourrait prétendre à une vie longue et heureuse. Mais pour cela, nous devons tout d’abord nous assurer que les interdictions concernant l’énergie nucléaire actuellement en vigueur dans le monde soient levées, que le financement du nucléaire soit protégé et développé partout, et nous devons construire, construire, et encore construire des centrales nucléaires.

Mais avant cela, j’ai prévu de faire une petite pause – enfin plutôt de ralentir mon engagement – pour me consacrer à mes études universitaires. Je verrai ensuite où tout cela me mène! J’ai toute confiance en mes compagnons d’engagement, j’ai une confiance prudente en l’industrie nucléaire pour exploiter concrètement cette renaissance du nucléaire que nous avons obtenue grâce à notre travail, mais surtout, j’ai confiance en l’humanité.

Ia Aanstoot Dear Greenpeace

La jeune militante pour le climat Ia Aanstoot s’engage avec ferveur pour l’énergie nucléaire en tant que solution à la lutte contre la crise climatique et la pauvreté énergétique. Avec sa campagne «Dear Greenpeace», elle demande à l’organisation environnementale internationale Greenpeace de «mettre un terme à son opposition dépassée et non scientifique au nucléaire, et de se rallier plutôt à la lutte contre les combustibles fossiles».

Auteur

Aileen von den Driesch, cheffe de projet Communication, Forum nucléaire suisse

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